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INTRODUCTION

données, ce qu’il marque en les mettant au subjonctif. Procédé éminemment rationnel. Pour le Grec, c’est l’imagination qui prévaut ici sur la logique, et comme en général la question a plus d’importance et frappe plus l’esprit que le membre de phrase d’où elle dépend, il en fait le plus souvent une proposition principale et la traite comme telle[1]. Aussi loin que nous pouvons remonter dans l’histoire de la langue grecque, nous trouvons la preuve de cette liberté intelligente.

Signalons enfin l’usage des particules. On sait combien ces fines attaches des pensées sont nombreuses et délicates aussi bien dans la poésie homérique que chez les écrivains du cinquième et du quatrième siècle. Ce sont en général des mots anciens, dont le sens et la valeur s’étaient affaiblies peu à peu. Il n’en est que plus remarquable de voir avec quelle sûreté les Grecs se servaient de ces termes peu significatifs par eux-mêmes, mais qui gardaient pourtant quelque chose de leur sens primitif. Ils les alliaient les uns aux autres, les combinaient de diverses manières selon leurs affinités, les rapprochaient ou les opposaient, en un mot les maniaient avec aisance, en vue d’avertir l’esprit, de faire deviner d’avance la pensée, de rattacher les phrases les unes aux autres ou de les mettre en contraste. Et la brièveté même de ces petits mots, qui semblaient se perdre dans le tissu du discours, permettait de faire de tout cela une sorte de jeu, où l’agilité intellectuelle du Grec trouvait à s’exercer[2].

  1. Isée, VI, 13 : Ἐρομένων ἡμῶν εἰ σῇ, ἐν Σικελίᾳ ἔφασαν ἀποθανεῖν. On dirait en latin : Rogantibus nobis an viveret, responsum est eum in Sicilia interiisse.
  2. Noter tout particulièrement l’emploi des particules μέν et δέ.