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MÉMOIRES D’UN PAYSAN BAS-BRETON

arrivâmes le 22 mai. Là, le général Uhlrich, notre général de division, nous adressa son discours d’entrée en campagne. Après nous avoir parlé météorologie et climatologie, il nous parla de la baïonnette qui était toujours l’arme terrible des soldats français ; il ne doutait pas un seul instant de l’énergie et du courage de ses hommes ; mais ce qu’il craignait, c’est que nous puissions nous laisser entraîner par l’enthousiasme, par un trop grand élan, par la furia française, à laquelle rien ne résiste. Nous devions faire partie du 5e corps, commandé par le prince Napoléon, surnommé plus tard le prince Plonplon. Celui-là aussi nous fit un discours, mais d’un autre genre. Il dit d’abord que l’empereur l’avait appelé à l’honneur de nous commander, puis que beaucoup d’entre nous étaient ses camarades de Crimée, de l’Alma et d’Inkermann, que nous allions entrer dans le pays qui fut le berceau de la civilisation antique et de la régénération moderne, que nous allions délivrer un peuple de ses dominateurs, de ses éternels ennemis, qui étaient aussi les ennemis de la France ; il termina par les cris de : Vive l’empereur ! Vive la France ! Vive l’indépendance italienne !

Le 23 mai, nous nous embarquions de bon matin et, le 24, nous arrivions à Livourne. Le port était rempli de bateaux et de navires qui disparaissaient entièrement sous les drapeaux, les oriflammes et les lanternes multicolores. Nous fûmes conduits à terre dans de grands chalands. En arrivant au quai, il y avait deux jeunes filles, ou plutôt deux anges, qui nous donnaient le bras pour nous aider à mettre pied à terre ; ensuite, nous passions entre deux haies de jeunes filles qui nous donnaient des fleurs et des cigares. Notre chemin était couvert de lauriers et de fleurs. Les maisons disparaissaient sous des tapis de toutes couleurs, les fenêtres et les balcons étaient pleins de drapeaux tricolores, français et italiens, entrecroisés, de couronnes de fleurs et d’énormes branches de lauriers. Les hommes, les femmes, les enfants se dressaient sur la pointe des pieds, en agitant des mouchoirs et des chapeaux et en criant de toute la force de leurs poumons : Viva Napoleone ! Viva Vittorio Emanuele ! Viva la Francia ! Viva l’Italia ! Viva i soldati francesi, nostri liberatori !

Des couronnes, des fleurs effeuillées, des feuilles de laurier