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LA REVUE DE PARIS

Mon nouvel ami travaillait pour entrer dans la télégraphie, et je l’aidais de mon mieux à apprendre la langue italienne, dont il avait besoin pour passer son examen. J’allais quelquefois avec lui au bureau du télégraphe, où on lui apprenait la manière de transmettre les dépêches par le système Morse. On le faisait correspondre avec un employé de Rouen, qui lui répondait souvent qu’il ne comprenait rien à « son griffonnage », puis ils finissaient par se dire toutes sortes de bêtises. On riait et on revenait prendre le café à la bibliothèque, où mon ami avait tout ce qu’il fallait pour cela. On invitait aussi le correspondant de Rouen. Celui-ci répondait qu’il aurait humé avec plaisir ce café de sous-off : il n’y avait qu’à le lui expédier par le télégraphe. Je passai ainsi la fin de l’année 1860 et le commencement de 1861, entre les exercices, les promenades militaires et la bibliothèque. Au printemps, ma compagnie se trouva désignée pour aller tenir la petite garnison du Tréport.

J’étais, comme je l’ai dit plus haut, dans la compagnie où j’avais été simple soldat, mais le capitaine Lamy n’y était plus. La compagnie était alors commandée par un lieutenant, qui n’était, certes, pas la pâte des hommes, mais le sous-lieutenant était encore d’une bien plus mauvaise composition. Celui-là était, au dire de tout le monde, mieux fait pour commander des Hottentots ou des Canaques que pour commander des hommes civilisés et disciplinés. Cet homme était, du reste, assez mal vu également de ses supérieurs ; il recevait d’eux non seulement des reproches, mais souvent des punitions pour son inconduite et sa mauvaise tenue. Pour se venger, ou peut-être pour rentrer en grâce auprès de ses supérieurs, il semait des punitions à tort et à travers autour de lui.

Or, j’étais le premier et le plus directement exposé à ses coups, étant le premier sergent de sa section. Toutes les fois qu’un officier veut punir un sergent, les motifs ou les prétextes ne lui manquent pas, surtout dans une compagnie où il y a toujours des jeunes soldats plus ou moins malpropres et des hommes vicieux et incorrigibles. Presque chaque fois qu’il y avait une revue, j’étais sûr d’être puni : sans avoir rien vu par lui-même, mais pour faire croire qu’il avait vu et pensant se mettre à couvert, le sous-lieutenant m’infligeait quatre