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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

si qui m’avait fait rire plus d’une fois, quand je l’entendais prononcer par les écoliers de M. Olive, le mot de si étant employé en breton pour chasser les cochons importuns. Nous entrâmes dans un débit et je lui fis servir un demi-quart, ration qui était alors à la mode dans le monde des buveurs et qu’on prenait ordinairement à deux, puis je demandai une chopine de cidre pour moi. En trinquant, il me dit : « Tou farai oun boun soudat, vaï, et oun boun camarao » et après avoir avalé son demi-quart d’un seul trait, il me dit qu’il allait me conduire à ma compagnie, « chez lou serginte-majour ».

Ce sergent-major était un tout petit homme, à peu près comme moi, aussi un engagé volontaire, dont le français, ou du moins l’accent, me surprit autant que celui du planton : ce n’était pas encore là le français que j’avais entendu à Quimper. Sa figure était, comme la mienne, complètement dépourvue de duvet ; il eût été très joli garçon sans son nez en bec d’aigle. La première chose qu’il dit en me voyant fut : « En voici un qui ne passera pas aux grenadiers. » Puis, aussitôt, il me demanda si j’avais de l’argent.

Je répondis :

— Un petit peu, major.

— Oh ! mais, tu comprends bien le français.

Je répétai la même phrase, et, pendant qu’il m’expliquait ce qu’on m’avait déjà expliqué à Quimper à propos de la masse individuelle, pour répondre ou plutôt pour couper à ses explications, je déposai quarante francs sur sa table.

— À la bonne heure, dit-il, je vois que tu comprends ton affaire ; ceci te servira d’un bon point pour commencer.

Il vint lui-même me conduire à mon escouade, la dernière qui occupait seule une petite chambre à part ; il y avait justement un lit disponible que le sergent me montra du doigt, et il dit quelques mots au caporal qui était dans un coin, un petit livre à la main.

Je restais planté là, au pied de mon lit que je trouvais bien étroit ; j’étais embarrassé de mon individu, surtout de mes mains que je ne savais où fourrer ; je fus mis un peu à mon aise par un soldat qui me demanda en breton d’où j’étais :

— D’Ergué Gabéric, tout près de Quimper.