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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

Bellecour ; il nous invitait à y assister toutes les fois que le service militaire nous le permettrait ; mais le service militaire ne nous le permettait guère.

Je pus toutefois y aller le deuxième dimanche après cet avis : j'arrivai un peu en retard ; la messe était commencée, il y avait beaucoup de monde ; cependant l'église aurait bien pu en contenir plus que le double ; il y avait des soldats, des caporaux, des sous-officiers ; on voyait même quelques officiers dans le haut. L'église était remplie de bancs, comme les bancs de l'école, sur lesquels il y avait des livres de messe répandus à profusion. J'en pris un que je m'amusai à feuilleter pour voir si c'était un livre de messe comme celui qu'on m'avait donné lors de ma première communion. C'était en effet à peu près le même ; c'était aussi presque tout du latin, excepté à la fin où se trouvaient encore les mêmes cantiques.

Dans le chœur, il y avait plusieurs civils et quelques militaires qui chantaient. Je reconnus là le chef de notre école, puis l'autre monsieur, qui allait et venait parmi les bancs, souriant, saluant et donnant des poignées de main à ses « chers amis ».

Lorsqu'il vint à moi, il me prit doucement par la main, en me disant tout bas : « Venez donc là-haut ; vous chantez très bien. »

J'aurais bien voulu me sauver, mais il me tenait toujours la main et il m'entraîna jusque dans le chœur, où je me trouvai bien penaud et bien honteux ; je ne savais trop quelle position prendre. « Vous chantez très bien », avait dit le monsieur. S'il m'eût forcé à chanter en ce moment-là, je crois bien que je n'aurais chanté ni bien ni mal : il m'aurait été impossible de prononcer la moindre syllabe.

Heureusement, j'avais mon livre dans lequel je fourrai mon nez le plus avant possible, pour dissimuler mon embarras et la rougeur de ma figure. La messe, du reste, touchait à sa fin, et quand je vis que les regards s'étaient détournés de moi, je relevai la tête et pris une meilleure contenance. Lorsqu'on chanta le Domine salvum fac imperatorem, je voulus même ouvrir un peu la bouche, mais je crois que je ne produisis aucun son. Cependant, quand on chanta le cantique final n° 8, que je savais déjà par cœur, on entendit ma voix,