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LA REVUE DE PARIS

étaient arrivés à Sébastopol ; ils étaient venus, comme nous, pour remplir les vides qui s’étaient faits dans le régiment le 18 juin, devant Malakoff. Depuis longtemps, il n’y avait plus au 26e un seul homme de ceux qui étaient partis les premiers… Enfin, vaincus par le sommeil, chacun finit par s’étendre à terre, la tête sur son sac, et sa femme, c’est-à-dire son fusil, entre les bras, ce que le sergent nous avait recommandé en cas d’alerte : le canon grondait toujours.

Le lendemain, nous fûmes réveillés par La mère Michel, musique à laquelle nous avions été assez habitués au camp de Sathonay. Aussitôt, on nous réunit sur le front de bandière pour l’appel, puis on fit former les faisceaux et nous retournâmes dans nos tentes prendre le café, moulu à coups de crosse de fusil. On nous avait recommandé de ne pas nous éloigner. On nous distribua du biscuit qui n’était pas si beau ni si bon que celui des Anglais. Un instant après, on cria : « Aux armes ! tout le monde aux faisceaux ! » Quelques vieux soldats disaient : « Ah ! ah ! ça y est, cette fois, ce n’est pas trop tôt; nous allons bien rire aujourd’hui ; gare les Russes ! »

Notre sergent-major, comme tous les autres, était allé à l’ordre : lorsqu’il revint, on nous fit former le cercle. Il nous lut alors l’ordre ou le discours du général Pélissier, lequel disait, en effet, que nous allions enfin porter le dernier coup à Sébastopol et à l’armée du tsar, qu’il était plein de confiance dans le courage et la bravoure de son armée, comme elle pouvait avoir confiance en lui. Cette exhortation se terminait comme toujours par les cris de vive la France ! vive l’empereur ! et de tous côtés on entendait des hourras ! et on voyait les casquettes s’agiter en l’air, accompagnant le cri : À nous Sébastopol !

Les Russes entendirent bien nos cris. Mais à eux aussi on faisait en ce moment un discours comme à nous. On leur disait qu’ils allaient enfin en finir avec l’armée des alliés, la jeter à la mer ou la faire prisonnière, et ils poussaient aussi, comme nous, de formidables hourras ! vive la Russie ! vive le tsar ! à nous les Français, les Anglais et les Piémontais ! Il devait être alors neuf heures du matin : le soleil semblait gai et brillant. Je me souvins que nous étions le 8 septembre,