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LA REVUE DE PARIS

vers les « rivages chéris ». Un soir, enfin, nous passions près de Toulon et dans la nuit nous jetions l’ancre dans le port de Marseille, où nous débarquions le lendemain matin, 15 juin.

J’ai déjà dit que je ne citerais des dates et des noms propres que lorsque je serais certain de ne pas me tromper. Ici, je ne puis me tromper, puisque cette date figure sur mes états de service. Nous dûmes rester plusieurs jours à Marseille. Mon régiment, que je n’avais pas vu depuis le mois de novembre 1855, était alors à Montélimar, où j’arrivai dans les premiers jours de juillet. En arrivant dans ma compagnie, je ne connaissais plus personne. Tous mes camarades avaient disparu : les officiers, sous-officiers et caporaux étaient tous changés, excepté le capitaine Lamy. J’arrivai là à peu près comme autrefois à Lorient, inconnu de tout le monde et ayant tout l’air d’une nouvelle recrue ; grâce au bon temps que j’avais eu à Constantinople et à la bonne nourriture, j’avais même l’air plus jeune que quand j’arrivai à Lorient. Deux jours après, mes nouveaux camarades furent bien étonnés de me voir attacher sur ma tunique la médaille que la reine d’Angleterre avait donnée à tous les Français qui étaient arrivés en Crimée avant la prise de Sébastopol. Elle était rare, cette médaille, dans notre régiment qui avait cependant fait toute la campagne depuis le commencement jusqu’à la fin : de tous ceux qui étaient partis, il n’en restait plus guère. Ceux qui le composaient maintenant étaient presque tous arrivés en Crimée après la prise de Sébastopol ou c’étaient de jeunes recrues du dépôt.

À la fin d’août, après avoir passé l’inspection générale, ma compagnie, toujours la 2e du 3, était désignée avec la 1re pour aller occuper la petite garnison de Privas. Là, nous n’avions pas grand’chose à faire, du moins les simples soldats, mais il n’en était pas de même des sous-officiers, caporaux et élèves. Le général inspecteur avait fait de grands éloges au régiment, en lui rappelant ses belles campagnes d’Afrique et de Crimée ; mais il n’avait pas fait compliment aux officiers, sous-officiers et caporaux sur leur instruction théorique et pratique. De ce mécontentement, on peut penser que le