Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/382

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l’impudence jusqu’à oser affirmer que cette paix fut mon ouvrage, que même j’empêchai la République de la concerter avec les Hellènes en congrès. Ô toi ! mais où trouver un nom qui te convienne ? Lorsque, présent dans Athènes, tu me voyais la frustrer d’un intérêt si grand, d’une alliance dont tu viens de déclamer tragiquement tous les avantages, t’es-tu indigné ? es-tu venu instruire le Peuple, développer ces crimes dont tu m’accuses aujourd’hui ? [23] Car enfin, si, pour exclure la Grèce du traité, je me fusse vendu à Philippe, ton devoir était de rompre le silence, de tonner, de protester, de dévoiler ma trahison. Tu n’en fis rien, personne ne t’entendit élever la voix : et qu’aurait-il dit ? Vous n’aviez alors envoyé aucune ambassade aux Hellènes ; depuis longtemps ils s’étaient déclarés ; et, sur ce point, il n’a rien avancé de vrai. [24] De plus, il flétrit la République elle-même par ses calomnies. Appeler les Hellènes à la guerre, alors que vous députiez vers Philippe pour la paix, t’eût été agir en Eurybates (12), non en Athéniens, non en hommes d’honneur. Mais il n’en est rien, absolument rien. Hé ! dans quelle vue auriez-vous alors envoyé des ambassades ? Pour la paix ? la Grèce entière en jouissait ; pour la guerre ? vous-mêmes vous délibériez sur la paix. Il est donc manifeste que de cette première paix je ne fus ni l’instigateur, ni la cause, et que toutes les autres imputations d’Eschine sont des mensonges.

[25] La paix conclue, examinez encore quel parti nous choisîmes l’un et l’autre : vous verrez lequel combattit sans cesse pour Philippe, lequel n’agit que pour vous, ne chercha que le bien de la patrie. Membre du Conseil, je proposai un décret qui enjoignait aux députés de cingler en toute hâte vers le lieu où ils apprendraient la présence de Philippe, et de recevoir son serment. Le décret porté, ils n’obéirent pas. [26] Quelle était donc l’importance de cette mesure (14) ? Entre le traité et le serment, l’intervalle le plus long servait les intérêts du prince ; le plus court, ceux d’Athènes. Pourquoi ? parce que, du jour où vous eûtes, je ne dis pas juré, mais espéré la paix, vous abandonnâtes tout préparatif de guerre : lui, au contraire, ne fut jamais plus actif. Il pensait (et il pensait juste) que tout ce qu’il aurait enlevé à la République avant de se lier par serment, il le garderait, et que nul ne romprait pour cela les traités. [27] Je pénétrai ses vues, Athéniens, et j’écrivis ce décret, qui ordonnait d’aller le chercher, et de recevoir au plus tôt son serment. Ainsi, la paix aurait été jurée, sans que les Thraces, vos alliés, eussent perdu ces forteresses qu’Eschine vient de renverser (15), Serrhium, Myrtium, Ergiské ; sans que Philippe, après avoir envahi les postes les plus importants, se fût établi maître de tout leur pays ; sans que l’accroissement de ses finances et de son armée facilitât le reste de ses entreprises. [28] Eschine ne dit rien de ce décret, il ne le fait pas lire ; et, si j’opinai dans le Conseil pour admettre à votre audience des ambassadeurs, c’est là qu’il me frappe ! Hé, que devais-je faire ? Écarter de votre présence des députés venus exprès pour conférer avec vous ? ne pas leur faire donner par l’entrepreneur (16) une place au théâtre ? pour deux oboles ils y seraient entrés ! Fallait-il m’attacher à de si chétifs intérêts, et, comme ces traîtres, vendre l’État entier à Philippe ? Qu’on lise le décret omis par cet homme, qui le connaissait très bien. — Lis.

[29] Décret.

Sous l’Archonte Mnésiphile, à l’ancienne et nouvelle lune d’Hécatombœon (17), la tribu Pandionide présidant, Démosthène de Paeania, fils de Démosthène, a dit :

Attendu que Philippe, par son ambassade au sujet de la paix, est convenu avec le Peuple Athénien des clauses du traité, le Conseil et le Peuple arrêtent :

Pour conclure la paix approuvée dans la première assemblée, il sera sur-le-champ choisi cinq députés parmi tous les Athéniens. Immédiatement après l’élection, ils se rendront là où ils croiront trouver Philippe, et échangeront les serments sur les conventions accordées entre lui et le Peuple Athénien, compris les alliés de part et d’autre.

Députés élus : Eubule d’Anaphlyste ; Eschine de Cothoce ; Céphisophon de Rhamnonte ; Démocrate de Phlyes ; Cléon de Cothoce.

[30] J’avais rédigé ce décret dans notre intérêt, non dans celui de Philippe. Nos fidèles députés n’en tinrent compte ; ils se reposèrent en Macédoine trois mois entiers, jusqu’au retour du prince, conquérant de toute la Thrace. Cependant ils pouvaient en dix jours, que dis-je ! en trois ou quatre, arriver dans l’Hellespont, et sauver les forteresses, en recevant le serment de Philippe avant qu’il les eût enlevées. Car il n’y eût touché, nous présents ; ou bien, rejetant son serment, nous lui aurions refusé la paix, et il n’eût pas eu à la fois la paix et les places. [31] Tel fut, dans cette ambassade, le premier tour d’escamotage de Philippe, le premier trafic de ces traîtres, ennemis des Dieux. Aussi, je le déclare, dès lors je leur fis la guerre : guerre aujourd’hui, guerre à jamais !

Voyez, aussitôt après, une perfidie plus grande encore. [32] Maître de la Thrace, grâce à ces infracteurs de mon décret, Philippe avait juré la paix ; il achète aussi la prolongation de leur séjour en Macédoine jusqu’à ce qu’il ait terminé les préparatifs de son expédition contre la Phocide. Par là, ne recevant de vos députés aucune nouvelle 375 de