Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/393

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porte une accusation fausse, qu’ils me privent de tous biens ! [142] Pourquoi ces imprécations, cette véhémence ? C’est que, malgré mes preuves convaincantes, tirées de nos archives, malgré vos propres souvenirs, je crains que vous ne jugiez cet homme incapable de si grands attentats. N’est-ce pas ce qui arriva lorsque, par des rapports mensongers, il perdit la malheureuse Phocide ?

[143] Cette guerre d’Amphissa, qui ouvrit à Philippe les portes d’Élatée, le mit à la tête des Amphictyons, précipita la chute totale de la Grèce, en voici l’auteur ! Un seul homme a causé tant de catastrophes ! En vain je me hâtai de protester, de crier dans l’assemblée : C’est la guerre que tu portes dans l’Attique, Eschine, la guerre des Amphictyons ! Les uns, apostés pour le soutenir, ne me laissaient point parler ; les autres, étonnés, s’imaginaient que, par haine personnelle, je le chargeais d’un crime chimérique. [144] Quels furent donc le caractère, le but, le dénouement de ces intrigues ? Apprenez-le aujourd’hui, puisque alors on ne vous le permit pas. Vous verrez un plan bien concerté ; vous en tirerez de grandes lumières pour votre histoire ; vous connaîtrez Philippe et son génie.

[145] Il ne pouvait se tirer de la guerre qu’il avait avec vous qu’en faisant des Thébains et des Thessaliens les ennemis d’Athènes. Quoique vos généraux le combattissent sans succès comme sans talent (85), la guerre par elle-même, et les pirates, lui faisaient souffrir mille maux. Rien ne sortait de la Macédoine, rien n’y entrait, pas même les choses les plus nécessaires. [146] Sur mer il n’était pas alors plus puissant que vous ; et il ne pouvait pénétrer dans l’Attique si les Thessaliens ne le suivaient, si les Thébains ne lui ouvraient le passage. Aussi, quoique vainqueur des chefs que vous lui opposiez, et que je ne juge pas, la situation du lieu et les ressources des deux Républiques l(86) e tenaient en échec. [147] Conseillera-t-il aux Thessaliens et aux Thébains de marcher contre vous, pour servir sa propre haine ? nul ne l’écoutera. Armé du prétexte de la cause commune, se fera-t-il élire général ? il pourra plus aisément tromper les uns, persuader les autres. Que fait-il donc ? admirez son adresse ! il entreprend de susciter une guerre aux Amphictyons, et de troubler leurs assemblées, présumant que bientôt ils recourront à lui. [148] Cette guerre sera-t-elle proposée par un hiéromnémon (87) de Philippe ou de ses alliés ? Non : Thèbes et la Thessalie soupçonneraient ses desseins, et se tiendraient sur leurs gardes. Mais, qu’un Athénien, un député de ses ennemis, se charge de l’affaire, Philippe cachera facilement ses manœuvres : et c’est ce qui arriva. Comment y parvient-il ? il achète cet homme. [149] Personne, parmi vous, selon l’usage, ne se défiant de rien, ne prévoyant rien, celui-ci est proposé pour pylagore ; trois ou quatre affidés lèvent la main, il est proclamé. Investi de l’autorité d’Athènes, il se rend près des Amphictyons, et, laissant là tout le reste, il consomme le crime auquel il s’est vendu. Par de beaux discours, par les fables qu’il arrange sur l’origine de la consécration de la plaine de Cirrha, il persuade aux hiéromnémons, auditeurs novices et imprévoyants, de décréter la visite de ce canton. [150] Amphissa le cultivait comme lui appartenant ; son accusateur en faisait une partie du terrain sacré. Les Locriens ne nous avaient imposé nulle amende ; ils ne songeaient à aucune des poursuites dont cet imposteur colore maintenant sa perfidie : vous allez le reconnaître. Sans nous citer en justice, ce peuple ne pouvait faire condamner la République. Qui donc nous a cités ? sous quel Archonte ? Dis-nous qui le sait ! Impossible ! Tu as donc usé d’un prétexte faux, tu as menti !

[151] À l’instigation de ce fourbe, les Amphictyons visitent la contrée ; les Locriens fondent sur eux, les percent presque tous de leurs traits, prennent même quelques hiéromnémons. De là, grand tumulte, plaintes contre Amphissa, guerre enfin. Cottyphos est d’abord mis à la tête de l’armée amphietyonique (88) ; mais les uns n’arrivent pas, les autres arrivent et ne font rien. La session suivante, le commandement est brusquement déféré à Philippe par des suppôts vieillis dans le crime, Thessaliens et gens des autres Républiques. [152] Ils saisissaient des prétextes spécieux. Il fallait, disaient-ils, contribuer en commun, entretenir des troupes étrangères, punir ceux qui n’obéiraient pas, ou choisir Philippe. Bref, ces intrigues le font élire général. Aussitôt il rassemble des forces, fait une marche simulée sur Cirrha, laisse là Cirrhéens et Locriens, et s’empare d’Élatée. [153] Si, à cette vue, les Thébains désabusés ne se fussent réunis à nous, la guerre, comme un torrent, tombait de tout son poids sur Athènes (89). Ils l’arrêtèrent soudain, grâce, ô Athéniens ! grâce surtout à la bienveillance de quelque Dieu, mais aussi, autant qu’a pu faire un seul homme, grâce à moi. Qu’on nous montre les décrets et les dates des événements : vous verrez quels troubles cette tête coupable a impunément soulevés ! [154] — Lis les décrets.

Décret des Amphictyons.

Sous le pontificat de Clinagoras, dans la session du printemps, les pylagores, les assesseurs et le corps amphictyonique arrêtent :

Attendu que les Amphissiens envahissent le terrain sa— 386 cré,