Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/401

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93 laires, non pas tous, mais les plus faibles, puisque Chios, Rhodes, Corcyre n’étaient pas avec nous. Pour revenus, quarante-cinq talents : encore étaient-ils levés d’avance (119). De grosse infanterie et de cavalerie, point d’autres que celles d’Athènes ; et, ce qui était le plus à craindre pour nous, le plus avantageux pour l’ennemi, les traîtres avaient porté plus vers la haine que vers l’amitié nos voisins de Mégare, de Thèbes, de l’Eubée. [235] Telle était notre situation : qui pourrait dire le contraire ? Quant à Philippe, que nous avions à combattre, examinez sa puissance. D’abord il était le souverain absolu des troupes qui le suivaient, avantage immense à la guerre ; ses soldats avaient toujours les armes à la main ; il regorgeait d’or ; tout ce qu’il avait décidé, il l’exécutait, sans l’éventer par des décrets, par des délibérations au grand jour (120), sans être traîné devant les tribunaux par la calomnie, ni accusé d’infraction aux lois, ni soumis à aucune responsabilité ; partout enfin chef, potentat, arbitre suprême. [236] Moi, qui avais en tête un tel ennemi (et l’équité réclame cet examen), de quoi étais-je le maître ? de rien. La parole, seul moyen à ma disposition, vous la partagiez entre moi et les stipendiés de Philippe ; et, dans les nombreuses circonstances où, grâce à de fausses considérations, le hasard leur donna la victoire, vous sortiez de vos assemblées avec des résolutions favorables à l’ennemi. [237] Malgré de tels désavantages, j’ai rallié près de vous l’Eubée, l’Achaïe, Corinthe, Thèbes, Mégare, Leucade, Corcyre, coalition qui vous donna quinze mille fantassins et deux mille cavaliers, sans compter les milices citoyennes (121). Quant aux subsides, je les ai portés aussi haut que j’ai pu.

[238] Si tu parles du contingent que devaient fournir Thèbes, Byzance, l’Eubée ; si tu disputes sur l’inégalité des répartitions, tu ignores que, de trois cents vaisseaux qui combattirent jadis pour la Grèce, notre République en avait armé deux cents. Se crut-elle lésée ? La vit-on accuser les auteurs de ce conseil ? s’irriter contre eux ? Non ! c’eût été pour elle un opprobre. Elle remercia les Dieux, qui, dans le commun danger, lui permettaient de fournir le double des autres pour le salut de tous. [239] Du reste, tu te fais un faux mérite auprès des Athéniens, en me calomniant. Pourquoi ne dire qu’à présent ce qu’il fallait faire ? Pourquoi, habitant Athènes, fréquentant les assemblées, ne l’as-tu pas alors proposé, si toutefois ton avis eût été admissible à cette époque critique où force était d’accepter, non ce que nous désirions, mais ce que donnaient les circonstances ? Car un autre était là, surfaisant, enchérissant sur nous, prêt à recueillir ceux que nous aurions rejetés.

[240] On attaque aujourd’hui ce que j’ai fait : que serait-ce donc si, par des calculs trop rigoureux, j’avais éloigné les peuples, si je les avais lancés dans le parti de Philippe, devenu maître à la fois et de l’Eubée, et de Thèbes, et de Byzance ? Que n’auraient pas fait ces hommes pour qui rien n’est sacré ? que n’auraient-ils pas dit ? [241] « Trahison ! ils sont rejetés, ceux qui voulaient s’attacher à nous. Par Byzance, Philippe est maître de l’Hellespont, et dispose souverainement du transport des blés dans la Grèce ; par les Thébains, il a poussé de nos frontières au sein de l’Attique une guerre sanglante ; les corsaires de l’Eubée ont rendu la mer impraticable. » Voilà ce qu’ils eussent dit, et que n’auraient-ils point ajouté ? [242] Quel monstre, ô Athéniens ! quel monstre que le sycophante ! En tout temps, en tout lieu, envieux, accusateur par instinct ! Tel est ce renard à face humaine, né pour la perfidie et les bassesses, singe tragique, Œnomaos de village, orateur faussaire ! De quoi a servi ton éloquence à la patrie ? [243] Tu viens nous entretenir du passé ! Je crois voir un médecin qui, visitant ses malades, n’indiquerait aucun remède pour les guérir, et qui, après la mort de l’un d’eux, assisterait à ses funérailles et le suivrait jusqu’à la sépulture, dissertant longuement : « Si l’homme que voilà eût fait telle et telle chose, il serait en vie. » Insensé ! tel est aujourd’hui ton tardif langage !

[244] Quant à notre défaite, dont tu triomphes, homme exécrable ! et dont tu devrais gémir, vous reconnaîtrez, Athéniens, que je n’y ai nullement contribué. Suivez mon raisonnement. Partout où vous m’avez envoyé en ambassade, les députés de Philippe ont-ils eu sur moi quelque avantage ? Non jamais, non, nulle part (122), ni chez les Thessaliens, ni dans Ambracie, ni dans l’Illyrie, ni chez les rois de Thrace, ni à Byzance, ni dernièrement enfin à Thèbes. Mais ce que j’avais emporté par la parole, Philippe arrivant le détruisait par ses armes. [245] Et tu t’en prends à moi ! et, dans tes sarcasmes amers, tu ne rougis pas de m’accuser de lâcheté, d’exiger que, seul, j’aie été plus fort que toute la puissance de Philippe, et cela par la parole ! car il n’y avait que la parole qui fût à moi. Je ne disposais de la vie de personne, ni du sort des combats, ni des opérations du général ; et tu m’en demandes raison ! Quel est donc ton aveuglement ! [246] Mais, sur tous les devoirs imposés à l’orateur, interroge-moi avec rigueur, j’y consens. Ces devoirs, quels sont-ils ? Étudier les affaires dès le principe, en prévoir les suites, les annoncer aux peuples : je l’ai fait ; corriger, autant qu’il se peut, les lenteurs, les irrésolutions, les ignorances, les rivalités, vices qui travaillent nécessairement toutes les républi— 394 ques ;