Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
NOTES DU PLAIDOYER DE DÉMOSTHÈNE

Philammon, quoique inférieur à Glaucos le Carystien et à quelques anciens lutteurs, ne sortait pas d’Olympie sans couronne ; supérieur à ses antagonistes, il était couronné et proclamé vainqueur. De même, Eschine, compare-moi aux orateurs de notre temps, à toi, à qui tu voudras ; je ne recule devant personne. [320] Tant que la République a pu choisir les meilleurs conseils, tant qu’il a été permis à tous les citoyens de rivaliser de zèle, c’est moi qu’on a vu proposer les avis les plus utiles ; c’est sur mes décrets, mes lois, mes ambassades, que tout se réglait ; aucun de vous n’a jamais paru que pour nuire au Peuple. Après les événements (que les Dieux ne les ont-ils détournés !), quand on cherchait, au lieu de fidèles conseillers, des esclaves dociles, des traîtres, des mercenaires, des adulateurs, alors tes pareils et toi vous brillâtes au premier rang, nourrissant de beaux coursiers ; moi, j’étais peu de chose, il est vrai, mais j’avais de meilleures intentions que vous pour la patrie !

[321] Deux grandes qualités, hommes d’Athènes ! caractérisent l’honnête citoyen, titre que je puis prendre sans irriter l’envie : dans l’exercice de la puissance, une fermeté inébranlable à maintenir l’honneur et la prééminence de la République ; en tout temps, pour chaque fait, du dévouement. Ce dernier point dépend de nous, le cœur en est maître ; mais la puissance est hors de nous. Le dévouement ! vous le trouvez en moi, constant, inaltérable. [322] Voyez, en effet. On a demandé ma tête (147), on m’a cité au tribunal des Amphictyons, on a mis en jeu menaces et promesses, on a lâché sur moi ces misérables comme des bêtes féroces : j’ai toujours été fidèle à mon zèle pour vous. Dès mes premiers pas, j’ai choisi la route la plus droite : soutenir les prérogatives, la puissance, la gloire de ma patrie, les étendre, m’identifier avec elles, telle a été ma politique. [323] Quand l’étranger prospère, on ne me voit pas, rayonnant de joie, me promener sur la place publique, tendre la main, conter l’heureuse nouvelle à qui ne manquera pas de la transmettre en Macédoine. Si notre ville a quelque bonheur, je ne l’apprends pas en frissonnant, en gémissant, le regard abattu, ainsi que ces impies qui décrient la République, comme si ce n’était pas se décrier eux-mêmes ; qui, toujours l’œil au dehors, exaltent les succès de celui (148) qui est heureux du malheur de la Grèce, et veulent qu’on s’applique à les perpétuer.

[324] Rejetez tous, Dieux immortels ! leurs coupables vœux ! Corrigez, corrigez leur esprit et leur cœur ! Mais, si leur méchanceté est incurable, puissent-ils, isolés dans le monde, périr avant le temps, sur la terre, sur les flots ! Pour nous, dernière espérance de la patrie, hâtez-vous de dissiper les craintes suspendues sur nos têtes, et d’assurer notre salut (149) !


NOTES

DU PLAIDOYER DE DÉMOSTHÈNE SUR LA COURONNE.

Texte de Bekker, dans les Oratores Attici de Dobson, t. vi, p. 23.

Pour interpréter ce texte, et, par suite, le modifier dans un très-petit nombre de passages, j’ai consulté les variantes de cette même édition ; les scolies d’Ulpien, t. x, p. 89, et les scolies supplémentaires, p. 307 ; les éditions de Hervag et de Morel ; les notes de Tourreil, Reiske, Auger, 1788 ; Dobrée, Jacobs ; le commentaire Variorum de Dobson ; le texte et le commentaire Var. de Harless (Leipz. 1814) ; l’Apparatus de Schæfer, t. ii ; Rochefort (Mém. de l’Acad. des Inscript., t. xliii, p. 35) ; les versions latines de J. Wolf, Lambin ; d’un anonyme, Paris, 1735 ; de l’édit. de Dobson, t. xv, p. 163 ; de Harless ; plusieurs versions françaises, et la traduction allemande de Jacobs, 1833.

(1) Les critiques de la Grèce et de Rome ont admiré à l’envi cet exorde ; plusieurs écrivains anciens ont, dans des genres très-différents, tenté de l’imiter : et deux rhéteurs, cités par Ulpien (Dobs. t. x, p. 91), lui avaient appliqué la minutieuse analyse de la critique grecque. L’orateur cherche à produire, dès l’abord, une impression multiple, nécessaire à sa cause. Par le souvenir modeste de ses services, il réveille en sa faveur l’attention de l’auditoire, qu’Eschine avait dû épuiser. Par cette prière, si conforme à cet esprit religieux de l’antiquité qui dicta aussi les premières paroles de Lycurgue accusant Léocrate, et de Cicéron défendant Muréna et Rabirius, il dissipe déjà le reproche d’impiété que lui avait fait son ennemi. Ensuite il prépare l’amour-propre de ses juges à écouter sans répugnance une apologie presque involontaire ; enfin, et c’est ici l’essentiel, il réclame la liberté de s’écarter du plan de défense que lui avait prescrit l’artificieux Eschine, qui prétendait l’obliger à répondre d’abord sur l’infraction des formes légales. « Démosthène, dit la Harpe, était trop habile pour donner dans ce piège : il sentait bien que cette discussion juridique, déjà fort longue dans le discours d’Eschine, le paraîtrait encore bien plus dans le sien, et commencerait par ennuyer son auditoire et refroidir sa harangue. L’essentiel était de prouver qu’il avait mérité la couronne, et de se concilier ses juges, en remettant sous leurs yeux tout ce qu’il avait fait pour l’État. Ce tableau de son administration, tracé avec tout l’intérêt qu’il était