Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/38

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a résolu de toute éternité de vous donner ou de vous refuser. Hé bien, lui diraient les sauvages, nous l’attendrons cette grâce, et en l’attendant, nous resterons dans notre croyance. Quels succès auraient eu les Jésuites, s’ils s’y étaient pris de la sorte ? Qu’un janséniste eut été à leur place prêcher sa doctrine repoussante, qu’il appelle néanmoins modestement la doctrine de S. Augustin et de S. Paul, il eût été bientôt, ou abandonné comme un fou, ou chassé par le peuple à coups de pierres. Les Jésuites se sont conduits bien plus adroitement ; ils ont prouvé, à ce que disent leurs ennemis, la vérité de cette maxime de l’Écriture, que les enfants de ténèbres agissent avec plus de prudence dans leurs affaires, que les enfants de lumière ; ils ont prêché aux peuples qu’ils voulaient convertir, le pélagianisme dont ils font profession, et qui est beaucoup plus accommodé à la faiblesse et à la vanité humaine ; mais non-seulement ils ont prêché plus humainement que n’auraient fait les jansénistes, ils ont prêché plus habilement que n’aurait fait Pelage lui-même. L’hérésie de ce moine ne fit pas autant de fortune qu’elle l’aurait pu, parce qu’il restait à moitié chemin. Pelage en rendant à la liberté ses droits, lui imposait des obligations sévères par la morale dont il recommandait la pratique ; cette morale était celle du christianisme dans toute son austérité, le renoncement à soi-même, la pénitence la plus rigoureuse, le combat continuel contre ses passions ; les Jésuites ont senti que ces devoirs pénibles n’étaient pas faits pour le commun des hommes, et c’était la multitude qu’ils voulaient attirer à eux. Après avoir adouci ce que les dogmes de la prédestination et de la grâce ont de trop dur en apparence, ils en ont fait autant de ce que les obligations imposées par le christianisme ont de trop difficile. Les grands, pour la plupart, sont par le vice de leur éducation, superstitieux, ignorants et adonnés à leurs passions. Ils leur permirent d’avoir des maîtresses, pourvu qu’ils marquassent du zèle pour la religion, et de l’attachement à ses pratiques extérieures, qui ne sont plus qu’une espèce d’amusement quand les passions sont satisfaites, et qui servent d’ailleurs aux consciences peu éclairées, de calmant, ou si l’on veut, de palliatif dans leurs remords. Ils suivirent à peu près le même plan pour tous ceux qu’ils dirigeaient, et réussirent à se faire par ce moyen un grand nombre de partisans ; l’esprit jésuitique dans la manière d’enseigner la religion est assez bien représenté par la définition que l’abbé Boileau donnait de ces PP. : Ce sont, disait-il, des gens qui allongent le Symbole, et accourcissent le Décalogue.

Je ne puis m’empêcher de remarquer à cette occasion une