Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/54

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opposés à tout le reste des pasteurs ? et ils répliquaient que la véritable Église visible, était celle qui enseignait visiblement la sainte doctrine, et qui n’autorisait pas, comme la bulle, le pélagianisme le plus révoltant ; ils ajoutaient que l’Église, toute visible qu’elle est et qu’elle doit être, n’était pas moins cachée en apparence dans ces temps malheureux, où les pères de l’Église assurent que tout l’univers fut étonné de se voir arien. En un mot, les jansénistes répondaient à leurs adversaires, comme Sertorius à Pompée :

Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis.

C’est ainsi que les uns et les autres défendaient leur cause. On ne parle point des injures qu’ils y ajoutaient, et qui de part et d’autre étaient dignes des raisons.

Les seuls magistrats, et cette observation n’est pas à négliger, opposaient en cette occasion aux constitutionnaires des raisons sans réplique ; ils prononçaient que la doctrine enseignée ou autorisée par la bulle, portait atteinte aux lois du royaume, et par conséquent ne devait pas être un prétexte de vexation. Voilà de quoi ces magistrats étaient juges compétents, et sur quoi les partisans de la bulle n’avaient rien à leur répondre ; car c’est aux dépositaires des lois à décider de ce qui y est conforme ou contraire, et cette question n’est pas même du ressort de l’Église.

Il est certain d’ailleurs que tous ces refus de sacrements occasionnés par la bulle, troublaient les familles, qu’ils jetaient la dissension parmi les citoyens ; qu’à cet égard au moins les magistrats devaient en prendre connaissance, et employer, comme ils faisaient, l’autorité des lois pour faire cesser le trouble. Mais l’inconvénient qu’entraînent les querelles de théologie, de nuire à la tranquillité publique, est le fruit de la faute qu’on a faite en France, et presque partout ailleurs, de lier les choses civiles à la religion ; de vouloir qu’un bourgeois de Paris soit non seulement sujet fidèle, mais encore bon catholique, et aussi exact à rendre le pain béni qu’à payer les impôts. Tant que cet esprit subsistera parmi nous, la maxime dont les fanatiques abusent si souvent, qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, sera un obstacle invincible aux plus sages mesures du gouvernement et des magistrats pour étouffer les querelles de religion ; parce que les hommes aiment mieux obéir à un maître qu’ils se donnent, et qui après tout ne leur commande que ce qu’ils veulent, qu’à un maître qu’ils n’ont pas choisi, et qui leur ordonne ce qui leur déplaît. En Hollande, où les jansénistes font une Église absolument séparée, que le gouvernement ignore et laisse en paix, ils ne sont ni la cause ni l’objet d’aucun trouble. Ce n’est que