Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/55

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par une sage tolérance, également avouée de la religion et de la politique, qu’on peut empêcher toutes ces frivoles disputes d’être contraires au repos de l’État, et à l’union des citoyens. Mais quand viendra cet heureux temps ?

Quoi qu’il en soit, les jansénistes, traités à leur mort comme des excommuniés, se soulevèrent contre cette nouvelle persécution. Le parlement, qui n’avait enregistré la bulle que malgré lui, prit leur défense, il bannit les prêtres qui refusaient de communier les jansénistes expirants ; l’archevêque de son côté interdisait et privait de leur place les prêtres qui obéissaient au parlement ; et ces malheureux Portes-Dieu, c’est ainsi qu’on les appelle, ayant pour perspective l’exil d’un côté, et la faim de l’autre, se trouvaient dans une fâcheuse alternative. Les gens raisonnables étaient surpris que l’archevêque, auteur de leur infortune, n’allât pas se présenter lui-même au parlement, déclarer qu’ils n’avaient rien fait que par ses ordres, et se rendre victime pour tant d’innocents. On avait d’autant plus lieu de s’y attendre, que la vertu de ce prélat et sa bonne foi dans cette affaire n’étaient nullement suspectes ; les jansénistes l’appelaient persécuteur et schismatique, les courtisans opiniâtre ; ses partisans le comparaient à S. Athanase, appelé aussi, disaient-ils, opiniâtre et rebelle par les courtisans de son temps.

La dispute s’échauffa de plus en plus ; la cour voulut inutilement la faire cesser ; les jansénistes avaient trouvé moyen de causer plus d’embarras par leur mort, qu’ils n’avaient fait pendant leur vie. Les parlements et l’archevêque furent exilés tour à tour. Enfin le roi, justement ennuyé de ces querelles, rappela les magistrats, et, de concert avec eux, imposa silence aux partisans et aux adversaires de la bulle.

Cette loi du silence, il est vrai, ne fut pas trop bien observée ; elle fut surtout enfreinte par les éloges que les jansénistes en faisaient ; ils imprimaient de gros volumes pour prouver qu’il fallait se taire ; ils ressemblaient à ce pédant de Molière, qui après avoir parlé long-temps, et dit beaucoup de sottises, promet enfin de garder le silence[1], et voulant prouver qu’il tient sa promesse, interrompt à chaque moment la conversation, pour faire observer qu’il n’ouvre pas la bouche.

Les constitutionnaires, de leur côté, osaient dire que le roi n’était pas en droit d’ordonner à des sujets forcenés de se taire sur l’objet ridicule qui échauffait leurs têtes ; que le fils aîné de l’Église manquait de respect à sa mère en voulant lui lier la langue lorsqu’elle avait tant de sujet, ils voulaient dire d’envie,

  1. Dépit amoureux, acte I, scène dernière.