Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Une jeune fille ne doit pas faire semblant de savoir que les nourrices ont du lait. C’est très inconvenant.

Mon oncle veut clore l’incident.

— Tes instincts pervers, s’écrie-t-il, se sont développés avec l’âge !…

Et il énumère les queues de lapins que j’ai tirées, les hannetons que j’ai fait rôtir, les mouches que j’ai écartelées. Ah ! ça ne l’étonne pas, que je me sois, plus tard, si mal conduit à l’égard de mes parents ! Quand on prend, si jeune, l’habitude de faire du mal aux bêtes…

Ma tante intervient :

— Mon ami, mon ami !…

— C’est vrai, fait mon oncle qui s’aperçoit que la passion l’égare. C’est vrai ! Ce petit malheureux allait me faire dire des choses !… Je suis réellement bouleversé… Une conduite aussi déplorable !…

— Ce n’est pas tout à fait sa faute, mon ami ; tu sais bien que sa religion…

— En effet, ajoute ma cousine, tu sais bien, papa, que les protestants…

Je m’y attendais. C’est l’excuse hypocrite dont ils affectent de couvrir ce qu’ils appellent mes fautes, excuse qui n’est en réalité, pour eux, qu’un outrage avec lequel ils me soufflètent. Sa religion ! Protestant ! Me les ont-ils assez jetés au nez, ces deux mots, tout en les susurrant d’une voix doucereuse et benoîte de cagot mielleux qui ne demande qu’à disculper et qui fait la part des choses ! Ont-ils jamais manqué une occasion de me les coller sur le visage, ainsi qu’un stigmate, dévotement, onctueusement, comme ils se collent à eux-mêmes de la cendre sur le front, le lendemain du mardi gras ? Et j’étais assez bête pour en rougir, assez mou pour avoir honte, assez lâche pour