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LA SIERRA VENTANA.

Cette ascension, en somme, me désappointa beaucoup. La vue elle-même est insignifiante : une plaine aussi unie que la mer, mais sans la belle couleur de celle-ci et sans des lignes aussi définies. Quoi qu’il en soit, cette scène était toute nouvelle pour moi et j’avais, en outre, éprouvé une certaine émotion quand j’avais cru voir apparaître des Indiens. Il est certain toutefois que le danger n’était pas bien terrible, car mes deux compagnons allumèrent un grand feu, chose qui ne se fait jamais quand on redoute le voisinage des Indiens. Je reviens à notre bivouac à la nuit tombante, et, après avoir bu beaucoup de maté, après avoir fumé plusieurs cigarettes, j’eus bientôt fait mes dispositions pour la nuit. Un vent très-froid soufflait avec violence, ce qui ne m’empêcha pas de dormir mieux que je n’aie jamais dormi.

10 septembre. — Nous arrivons vers le milieu du jour à la posta de la Sauce, après avoir bravement couru devant la tempête. En chemin, nous avons vu un grand nombre de cerfs, et, plus près de la montagne, un guanaco. De singuliers ravins traversent la plaine qui vient mourir au pied de la sierra ; l’un de ces ravins, ayant environ 20 pieds de largeur sur 30 au moins de profondeur, nous oblige à faire un circuit considérable avant de pouvoir le traverser. Nous passons la nuit à la posta ; la conversation roule, comme toujours, sur les Indiens. Anciennement la sierra Ventana était un de leurs postes favoris, et on s’est beaucoup battu en cet endroit, il y a trois ou quatre ans. Mon guide assistait à un de ces combats, où beaucoup d’Indiens perdirent la vie. Les femmes parvinrent à atteindre le sommet de la montagne et s’y défendirent bravement en faisant rouler de grosses pierres sur les soldats. Beaucoup d’entre elles finirent par se sauver.

11 septembre. — Nous nous rendons à la troisième posta en compagnie du lieutenant qui la commande. On dit qu’il y a 15 lieues entre les deux postes, mais on ne fait que supposer et ordinairement on exagère un peu. La route offre peu d’intérêt, on traverse continuellement une plaine sèche couverte de gazon ; à notre gauche, à une distance variable, une rangée de petites collines que nous traversons au moment d’arriver à la posta. Nous rencontrons aussi un immense troupeau de bœufs et de chevaux gardé par quinze soldats qui nous disent en avoir déjà perdu beaucoup. Il est fort difficile, en effet, de faire traverser les plaines à ces animaux, car si, pendant la nuit, un puma ou même un renard s’approche du troupeau, rien ne peut empêcher les chevaux affolés