Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/173

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
RACE CURIEUSE DE BŒUFS.

prononcés. Il est prouvé, selon le señor Muniz, que, contrairement à l’expérience ordinaire des éleveurs en pareil cas, une vache niata croisée avec un taureau ordinaire transmet plus fortement ses caractères particuliers que ne le fait le taureau niata croisé avec une vache ordinaire. Quand l’herbe est suffisamment longue, les bestiaux niata se servent pour manger de la langue et du palais, comme les bestiaux ordinaires ; mais, pendant les grandes sécheresses, alors que tant d’animaux périssent, la race niata disparaîtrait entièrement si l’on n’en prenait soin. En effet, les bestiaux ordinaires, comme les chevaux, parviennent encore à se soutenir en broutant avec leurs lèvres les jeunes tiges des arbres et des roseaux ; les niata au contraire n’ont pas cette ressource, leurs lèvres ne se rejoignant pas ; aussi périssent-ils avant tous les autres bestiaux. N’est-ce pas là un exemple frappant des rares indications que peuvent nous fournir les habitudes ordinaires de la vie sur les causes qui déterminent la rareté ou l’extinction des espèces, quand ces causes ne se produisent qu’à de longs intervalles ?

19 novembre. — Après avoir traversé la vallée de Las Vacas, nous passons la nuit chez un Américain du Nord qui exploite un four à chaux sur l’arroyo de Las Vivoras. Nous nous rendons, dans la matinée, à un endroit nommé Punta Gorda, qui forme un promontoire sur les bords du fleuve. En route, nous essayons de trouver un jaguar. Les traces fraîches de ces animaux abondent de tous côtés ; nous visitons les arbres sur lesquels ils aiguisent, dit-on, leurs griffes, mais nous ne parvenons pas à en détourner un seul. Le rio Uruguay présente, vu de cet endroit, un magnifique volume d’eau. La limpidité, la rapidité du courant rendent l’aspect de ce fleuve bien supérieur à celui de son voisin, le Parana. Sur la rive opposée, plusieurs bras de ce dernier fleuve se jettent dans l’Uruguay. Le soleil brillait et on pouvait distinguer nettement la couleur différente des eaux de ces deux fleuves.

Dans la soirée nous nous remettons en route pour nous rendre à Mercedes sur le rio Negro. Le soir nous demandons l’hospitalité pour la nuit dans une estancia que nous trouvons sur notre chemin. Cette propriété est très-considérable, elle a 10 lieues carrées et appartient à un des plus grands propriétaires fonciers du pays. Son neveu dirige l’estancia et avec lui se trouve un des capitaines de l’armée qui vient de s’enfuir dernièrement de Buenos Ayres. La conversation de ces messieurs ne manque pas d’être assez amusante, étant donnée leur position sociale. Comme presque tous