Page:Daudet - Jack, II.djvu/20

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l’intérieur pour servir d’abri aux ouvriers en attendant les passeurs, les jours de mauvais temps. Clarisse la connaissait bien, cette baraque ! Et la vieille, qui avait installé dans un coin son petit commerce d’eau-de-vie de grain et de café noir, avait vu bien des fois madame Roudic attendre la barque de passage et traverser la Loire par des « temps de chien. »

— Ça pique, à ce matin, les gâs ! Vous ne prenez pas une goutte ?

Jack voulut bien prendre une goutte, mais à condition de la payer, et même il fit signe à un matelot de faction qui grelottait au pied du sémaphore de venir boire avec eux. Le matelot et le Nantais avalèrent leur eau-de-vie comme une muscade. L’apprenti les imita ; mais ce qu’il n’aurait pas pu imiter, c’est ce sourire de gourmandise, ce « Ah ! » de satisfaction qu’avait le marin en s’essuyant la bouche d’un revers de manche. Terrible goutte ! Il semblait à Jack qu’il venait d’absorber tout le mâchefer de la forge. Soudain un coup de sifflet déchira le brouillard. Le bateau de Saint-Nazaire ! Il fallut se séparer ; mais on se promit de se revoir.

— Tu es un brave garçon, Jack, et je te remercie de tes bons conseils.

— Laissez donc ! ça n’en vaut pas la peine, répondit Jack en serrant vigoureusement la main du Nantais, et très étonné de se sentir aussi ému que s’il quittait pour toujours un ami de vingt ans. Surtout,