Page:Daudet - Jack, II.djvu/45

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nants. Encore Jack avait la grâce de la jeunesse, sa petite frimousse intelligente et fine, gardait, malgré l’état de son costume et sa hideuse ceinture bleue, quelque chose d’intéressant, de distingué. Mais Bélisaire, épouvantable, plus laid de tous les horions reçus dans la bagarre, les marques de résistance écrites partout sur sa figure, sur ses vêtements, en balafres, en déchirures, était rendu plus terrible encore par l’expression d’atroce souffrance que ses pieds gonflés, serrés toute la nuit, mettaient sur sa face terreuse plaquée de rouge et grimaçante, expression qui fermait sa bouche épaisse, y imprimait le mutisme humain, voulu, lamentable, qu’on observe sur le mufle des phoques. À les voir tous les deux l’un à côté de l’autre, le sentiment général se trouvait bien confirmé, qui voulait que l’apprenti, cet enfant si doux, si timide, n’eût été que l’instrument de quelque misérable dont les conseils l’avaient perdu.

En traversant l’antichambre du directeur, Jack aperçut plusieurs visages qui lui firent l’effet d’apparitions, comme si les imaginations d’un affreux cauchemar avaient pris corps et s’étaient dressées en face de lui. L’assurance qui lui faisait encore porter la tête haute devant le crime dont on l’accusait, l’abandonna à cet instant. Le marinier qui l’avait conduit, des cabaretiers d’Indret, de la Basse-Indre, même de Nantes, lui rappelaient toutes les étapes de sa journée de la veille. Il la revécut en une minute avec tous ses souvenirs