Page:De Gouges - Les Droits de la femme, 1791.djvu/26

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m’en fus moitié furieuse & moitié riant du jugement de ce moderne Bride-Oison, en disant : c’est donc là l’espèce d’homme qui doit juger un peuple éclairé ! On ne voit que cela. Semblables aventures arrivent indistinctement aux bons patriotes, comme aux mauvais. Il n’y a qu’un cri sur les désordres des sections & des tribunaux. La justice ne se rend pas ; la loi est méconnue, & la police se fait, Dieu sait comment. On ne peut plus retrouver les cochers à qui l’on confie des effets ; ils changent les numéros à leur fantaiſie, & plusieurs personnes, ainsi que moi, ont fait des pertes considérables dans les voitures. Sous l’ancien régime, quel que fût son brigandage, on trouvait la trace de ses pertes, en faisant un appel nominal des cochers, & par l’inspection exacte des numéros ; enfin on étoit en sûreté. Que font ces juges de paix ? que font ces comissaires, ces inspecteurs du nouveau régime ? Rien que des sottises & des monopoles. L’Assemblée Nationale doit fixer toute son attention sur cette partie qui embrasse l’ordre social.

P. S. Cet ouvrage étoit compoſé depuis quelques jours ; il a été retardé encore à l’impreſſion ; et au moment que M. Taleyrand, dont le nom sera toujours cher à la poſtérité, venant de donner son ouvrage sur les principes de l’éducation nationale, cette production étoit déjà ſous la presse. Heureuse si je me suis rencontrée avec les vues de cet orateur ! Cependant je ne puis m’empêcher d’arrêter la presse, et de faire éclater la pure joie, que mon cœur a ressentie à la nouvelle que le roi venoit d’accepter la Constitution, et que l’assemblée nationale, que j’adore actuellement, ſans excepter l’abbé Maury ; et la Fayette est un dieu, avoit proclamé d’une voix unanime une amnistie générale. Providence divine, fais que cette joie publique ne ſoit pas une fausse illusion ! Renvoie-nous, en corps, tous nos fugitifs, et que je puisse avec un peuple aimant, voler sur leur passage ; et dans ce jour solemnel, nous rendrons tous hommage à ta puissance.