Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/162

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rien en soi ne saurait être plus terrible, ni conduire plus immédiatement à l’idée de la puissance invisible qui seule gouverne de si grandes choses ; néanmoins, à peine la première frayeur passée, l’impression qu’il avait faite sur moi s’en alla aussi : je n’avais pas plus le sentiment de Dieu ou de ses jugements et encore moins que ma présente affliction était l’œuvre de ses mains, que si j’avais été dans l’état le plus prospère de la vie.

Mais quand je tombai malade et que l’image des misères de la mort vint peu à peu se placer devant moi, quand mes esprits commencèrent à s’affaisser sous le poids d’un mal violent et que mon corps fut épuisé par l’ardeur de la fièvre, ma conscience, si longtemps endormie, se réveilla ; je me reprochai ma vie passée, dont l’insigne perversité avait provoqué la justice de Dieu à m’infliger des châtiments inouïs et à me traiter d’une façon si cruelle.

Ces réflexions m’oppressèrent dès le deuxième ou le troisième jour de mon indisposition, et dans la violence de la fièvre et des âpres reproches de ma conscience, elles m’arrachèrent quelques paroles qui ressemblaient à une prière adressée à Dieu. Je ne puis dire cependant que ce fut une prière faite avec ferveur et confiance, ce fut plutôt un cri de frayeur et de détresse. Le désordre de mes esprits, mes remords cuisants, l’horreur de mourir dans un si déplorable état et de poignantes appréhensions, me faisaient monter des vapeurs au cerveau, et, dans ce trouble de mon âme, je ne savais ce que ma langue articulait ; ce dut être toutefois quelque exclamation comme celle-ci : — « Seigneur ! quelle misérable créature je suis ! Si je viens à être malade, assurément je mourrai faute de secours ! Seigneur, que deviendrai-je ? » — Alors des larmes coulèrent en abondance de mes yeux, et il se