Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/164

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fièvre reviendrait le jour suivant, et qu’il fallait en ce moment me procurer de quoi me rafraîchir et me soutenir quand je serais malade. La première chose que je fis, ce fut de mettre de l’eau dans une grande bouteille carrée et de la placer sur ma table, à portée de mon lit ; puis, pour enlever la crudité et la qualité fiévreuse de l’eau, j’y versai et mêlai environ un quart de pinte de rum. J’aveins alors un morceau de viande de bouc, je le fis griller sur des charbons, mais je n’en pus manger que fort peu. Je sortis pour me promener ; mais j’étais très faible et très mélancolique, j’avais le cœur navré de ma misérable condition et j’appréhendais le retour de mon mal pour le lendemain. À la nuit je fis mon souper de trois œufs de tortue, que je fis cuire sous la cendre, et que je mangeai à la coque, comme on dit. Ce fut là, autant que je puis m’en souvenir, le premier morceau pour lequel je demandai la bénédiction de Dieu depuis qu’il m’avait donné la vie.

Après avoir mangé, j’essayai de me promener ; mais je me trouvai si affaibli que je pouvais à peine porter mon mousquet, — car je ne sortais jamais sans lui. — Aussi je n’allai pas loin, et je m’assis à terre, contemplant la mer qui s’étendait devant moi calme et douce. Tandis que j’étais là, il me vint à l’esprit ces pensées :

« Qu’est-ce que la terre et la mer, dont j’ai vu tant de régions ? d’où cela a-t-il été produit ? que suis-je moi-même ? que sont toutes les créatures, sauvages ou policées, humaines ou brutes ? d’où sortons-nous ?

« Sûrement nous avons tous été faits par quelque secrète puissance, qui a formé la terre et l’océan, l’air et les cieux ; mais quelle est-elle ? »

J’inférai donc naturellement de ces propositions que c’est Dieu qui a créé tout cela. — « Bien ! Mais si Dieu a fait