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grande corbeille que j’avais tressée, et je les égrenai entre mes mains. À la fin de toute ma récolte, je trouvai que le demi-picotin que j’avais semé m’avait produit près de deux boisseaux de riz et environ deux boisseaux et demi d’orge, autant que je pus en juger, puisque je n’avais alors aucune mesure.

Ceci fut pour moi un grand sujet d’encouragement ; je pressentis qu’à l’avenir il plairait à Dieu que je ne manquasse pas de pain. Toutefois je n’étais pas encore hors d’embarras : je ne savais comment moudre ou comment faire de la farine de mon grain, comment le vanner et le bluter ; ni même, si je parvenais à le mettre en farine, comment je pourrais en faire du pain ; et enfin, si je parvenais à en faire du pain, comment je pourrais le faire cuire. Toutes ces difficultés, jointes au désir que j’avais d’avoir une grande quantité de provisions, et de m’assurer constamment ma subsistance, me firent prendre la résolution de ne point toucher à cette récolte, de la conserver tout entière pour les semailles de la saison prochaine, et, dans l’entre-temps, de consacrer toute mon application et toutes mes heures de travail à accomplir le grand œuvre de me pourvoir de blé et de pain.

C’est alors que je pouvais dire avec vérité que je travaillais pour mon pain. N’est-ce pas chose étonnante, et à laquelle peu de personnes réfléchissent, l’énorme multitude de petits objets nécessaires pour entreprendre, produire, soigner, préparer, faire et achever une parcelle de pain.

Moi, qui étais réduit à l’état de pure nature, je sentais que c’était là mon découragement de chaque jour, et d’heure en heure cela m’était devenu plus évident, dès lors même que j’eus recueilli la poignée de blé, qui comme je l’ai dit, avait crû d’une façon si inattendue et si émerveillante.