Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/229

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blement espérer en ce lieu ; que, bien loin de murmurer contre ma condition, je devais en être fort aise, et rendre grâce chaque jour du pain quotidien qui n’avait pu m’être envoyé que par une suite de prodiges ; que je devais considérer que j’avais été nourri par un miracle aussi grand que celui d’Élie nourri par les corbeaux ; voire même par une longue série de miracles ! enfin, que je pourrais à peine dans les parties inhabitées du monde nommer un lieu où j’eusse pu être jeté plus à mon avantage ; une place où, comme dans celle-ci, j’eusse été privé de toute société, ce qui d’un côté faisait mon affliction, mais où aussi je n’eusse trouvé ni bêtes féroces, ni loups, ni tigres furieux pour menacer ma vie ; ni venimeuses, ni vénéneuses créatures dont j’eusse pu manger pour ma perte, ni Sauvages pour me massacrer et me dévorer.

En un mot, si d’un côté ma vie était une vie d’affliction, de l’autre c’était une vie de miséricorde ; et il ne me manquait pour en faire une vie de bien-être que le sentiment de la bonté de Dieu et du soin qu’il prenait en cette solitude d’être ma consolation de chaque jour. Puis ensuite je faisais une juste récapitulation de toutes ces choses, je secouais mon âme, et je n’étais plus mélancolique.

Il y avait déjà si long-temps que j’étais dans l’île, que bien des choses que j’y avais apportées pour mon soulagement étaient ou entièrement finies ou très-usées et proche d’être consommées.

Mon encre, comme je l’ai dit plus haut, tirait à sa fin depuis quelque temps, il ne m’en restait que très-peu, que de temps à autre j’augmentais avec de l’eau, jusqu’à ce qu’elle devint si pâle qu’à peine laissait-elle quelque apparence de noir sur le papier. Tant qu’elle dura j’en fis usage pour noter les jours du mois où quelque chose de