Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/251

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nécessité absolue m’enjoignait de l’exécuter. Mon premier soin fut de chercher une pièce de terre convenable c’est-à-dire où il y eût de l’herbage pour leur pâture, de l’eau pour les abreuver et de l’ombre pour les garder du soleil.

Ceux qui s’entendent à faire ces sortes d’enclos trouveront que ce fut une maladresse de choisir pour place convenable, dans une prairie ou savane, — comme on dit dans nos colonies occidentales, — un lieu plat et ouvert, ombragé à l’une de ses extrémités, et où serpentaient deux ou trois filets d’eau ; ils ne pourront, dis-je, s’empêcher de sourire de ma prévoyance quand je leur dirai que je commençai la clôture de ce terrain de telle manière, que ma haie ou ma palissade aurait eu au moins deux milles de circonférence. Ce n’était pas en la dimension de cette palissade que gisait l’extravagance de mon projet, car elle aurait eu dix milles que j’avais assez de temps pour la faire, mais en ce que je n’avais pas considéré que mes chèvres seraient tout aussi sauvages dans un si vaste enclos, que si elles eussent été en liberté dans l’île, et que dans un si grand espace je ne pourrais les attraper.

Ma haie était commencée, et il y en avait bien cinquante verges d’achevées lorsque cette pensée me vint. Je m’arrêtai aussitôt, et je résolus de n’enclorre que cent cinquante verges en longueur et cent verges en largeur, espace suffisant pour contenir tout autant de chèvres que je pourrais en avoir pendant un temps raisonnable, étant toujours à même d’agrandir mon parc suivant que mon troupeau s’accroîtrait.

C’était agir avec prudence, et je me mis à l’œuvre avec courage. Je fus trois mois environ à entourer cette première pièce. Jusqu’à ce que ce fût achevé je fis paître les trois chevreaux, avec des entraves aux pieds, dans le meil-