Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/282

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nécessaires auxquelles il me serait impossible de suppléer : d’abord je n’avais point de tonneaux pour conserver ma bière ; et, comme je l’ai déjà fait observer, j’avais employé plusieurs jours, plusieurs semaines, voire même plusieurs mois, à essayer d’en construire, mais tout-à-fait en vain. En second lieu, je n’avais ni houblon pour la rendre de bonne garde, ni levure pour la faire fermenter, ni chaudron ni chaudière pour la faire bouillir ; et cependant, sans l’appréhension des Sauvages, j’aurais entrepris ce travail, et peut-être en serais-je venu à bout ; car j’abandonnais rarement une chose avant de l’avoir accomplie, quand une fois elle m’était entrée dans la tête assez obstinément pour m’y faire mettre la main.

Mais alors mon imagination s’était tournée d’un tout autre côté : je ne faisais nuit et jour que songer aux moyens de tuer quelques-uns de ces monstres au milieu de leurs fêtes sanguinaires, et, s’il était possible, de sauver les victimes qu’ils venaient égorger sur le rivage. Je remplirais un volume plus gros que ne le sera celui-ci tout entier, si je consignais touts les stratagèmes que je combinai, ou plutôt que je couvai en mon esprit pour détruire ces créatures ou au moins les effrayer et les dégoûter à jamais de revenir dans l’île ; mais tout avortait, mais, livré à mes propres ressources, rien ne pouvait s’effectuer. Que pouvait faire un seul homme contre vingt ou trente Sauvages armés de zagaies ou d’arcs et de flèches, dont ils se servaient aussi à coup sûr que je pouvais faire de mon mousquet ?

Quelquefois je songeais à creuser un trou sous l’endroit qui leur servait d’âtre, pour y placer cinq ou six livres de poudre à canon, qui, venant à s’enflammer lorsqu’ils allumeraient leur feu, feraient sauter tout ce qui serait à l’en-