Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/337

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et non, et je lui appris ce que ces mots signifiaient. — Je lui donnai ensuite du lait dans un pot de terre ; j’en bus le premier, j’y trempai mon pain et lui donnai un gâteau pour qu’il fît de même : il s’en accommoda aussitôt et me fit signe qu’il trouvait cela fort bon.

Je demeurai là toute la nuit avec lui ; mais dès que le jour parut je lui fis comprendre qu’il fallait me suivre et que je lui donnerais des vêtements ; il parut charmé de cela, car il était absolument nu. Comme nous passions par le lieu où il avait enterré les deux hommes, il me le désigna exactement et me montra les marques qu’il avait faites pour le reconnaître, en me faisant signe que nous devrions les déterrer et les manger. Là-dessus je parus fort en colère ; je lui exprimai mon horreur en faisant comme si j’allais vomir à cette pensée, et je lui enjoignis de la main de passer outre, ce qu’il fit sur-le-champ avec une grande soumission. Je l’emmenai alors sur le sommet de la montagne, pour voir si les ennemis étaient partis ; et, braquant ma longue-vue, je découvris parfaitement la place où ils avaient été, mais aucune apparence d’eux ni de leurs canots. Il était donc positif qu’ils étaient partis et qu’ils avaient laissé derrière eux leurs deux camarades sans faire aucune recherche.

Mais cette découverte ne me satisfaisait pas : ayant alors plus de courage et conséquemment plus de curiosité, je pris mon Vendredi avec moi, je lui mis une épée à la main, sur le dos l’arc et les flèches, dont je le trouvai très-adroit à se servir ; je lui donnai aussi à porter un fusil pour moi ; j’en pris deux moi-même, et nous marchâmes vers le lieu où avaient été les Sauvages, car je désirais en avoir de plus amples nouvelles. Quand j’y arrivai mon sang se glaça dans mes veines, et mon cœur défaillit à un horrible spec-