Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tacle. C’était vraiment chose terrible à voir, du moins pour moi, car cela ne fit rien à Vendredi. La place était couverte d’ossements humains, la terre teinte de sang ; çà et là étaient des morceaux de chair à moitié mangés, déchirés et rôtis, en un mot toutes les traces d’un festin de triomphe qu’ils avaient fait là après une victoire sur leurs ennemis. Je vis trois crânes, cinq mains, les os de trois ou quatre jambes, des os de pieds et une foule d’autres parties du corps. Vendredi me fit entendre par ses signes que les Sauvages avaient amené quatre prisonniers pour les manger, que trois l’avaient été, et que lui, en se désignant lui-même, était le quatrième ; qu’il y avait eu une grande bataille entre eux et un roi leur voisin, — dont, ce semble, il était le sujet ; — qu’un grand nombre de prisonniers avaient été faits, et conduits en différents lieux par ceux qui les avaient pris dans la déroute, pour être mangés, ainsi que l’avaient été ceux débarqués par ces misérables.

Je commandai à Vendredi de ramasser ces crânes, ces os, ces tronçons et tout ce qui restait, de les mettre en un monceau et de faire un grand feu dessus pour les réduire en cendres. Je m’apperçus que Vendredi avait encore un violent appétit pour cette chair, et que son naturel était encore cannibale ; mais je lui montrai tant d’horreur à cette idée, à la moindre apparence de cet appétit, qu’il n’osa pas le découvrir : car je lui avais fait parfaitement comprendre que s’il le manifestait je le tuerais.

Lorsqu’il eut fait cela, nous nous en retournâmes à notre château, et là je me mis à travailler avec mon serviteur Vendredi. Avant tout je lui donnai une paire de caleçons de toile que j’avais tirée du coffre du pauvre canonnier dont il a été fait mention, et que j’avais trouvée dans le bâtiment naufragé : avec un léger changement, elle lui alla très--