Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/365

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Espagnols ou des Portugais, ne doutant pas, si je réussissais, qu’étant sur le continent et en nombreuse compagnie, je ne pusse trouver quelque moyen de m’échapper de là plutôt que d’une île éloignée de quarante milles de la côte, et où j’étais seul et sans secours. Quelques jours après je sondai de nouveau Vendredi, par manière de conversation, et je lui dis que je voulais lui donner un bateau pour retourner chez sa nation. Je le menai par conséquent vers ma petite frégate, amarrée de l’autre côté de l’île ; puis, l’ayant vidée, — car je la tenais toujours enfoncée sous l’eau, — je la mis à flot, je la lui fis voir, et nous y entrâmes touts les deux.

Je vis que c’était un compagnon fort adroit à la manœuvre : il la faisait courir aussi rapidement et plus habilement que je ne l’eusse pu faire. Tandis que nous voguions, je lui dis : — « Eh bien ! maintenant, Vendredi, irons-nous chez ta nation ? » — À ces mots il resta tout stupéfait, sans doute parce que cette embarcation lui paraissait trop petite pour aller si loin. Je lui dis alors que j’en avais une plus grande. Le lendemain donc je le conduisis au lieu où gisait la première pirogue que j’avais faite, mais que je n’avais pu mettre à la mer. Il la trouva suffisamment grande ; mais, comme je n’en avais pris aucun soin, qu’elle était couchée là depuis vingt-deux ou vingt-trois ans, et que le soleil l’avait fendue et séchée, elle était pourrie en quelque sorte. Vendredi m’affirma qu’un bateau semblable ferait l’affaire, et transporterait— beaucoup assez viv’es, boire, pain : — c’était là sa manière de parler.

En somme, je fus alors si affermi dans ma résolution de gagner avec lui le continent, que je lui dis qu’il fallait nous mettre à en faire une de cette grandeur-là pour qu’il pût s’en retourner chez lui. Il ne répliqua pas un