Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/373

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vendredi ? lui dis-je. » — « Oh ! Là-bas un, deux, trois canots ! un, deux, trois ! » — Je conclus, d’après sa manière de s’exprimer, qu’il y en avait six ; mais, après que je m’en fus enquis, je n’en trouvai que trois, — « Eh bien ! Vendredi, lui dis-je, ne t’effraie pas. » — Je le rassurai ainsi autant que je pus ; néanmoins je m’apperçus que le pauvre garçon était tout-à-fait hors de lui-même : il s’était fourré en tête que les Sauvages étaient venus tout exprès pour le chercher, le mettre en pièces et le dévorer. Il tremblait si fort que je ne savais que faire. Je le réconfortai de mon mieux, et lui dis que j’étais dans un aussi grand danger, et qu’ils me mangeraient tout comme lui. — « Mais il faut, ajoutai-je, nous résoudre à les combattre ; peux-tu combattre, Vendredi ? » — « Moi tirer, dit-il, mais là venir beaucoup grand nombre. » — « Qu’importe ! répondis-je, nos fusils épouvanteront ceux qu’ils ne tueront pas. » — Je lui demandai si, me déterminant à le défendre, il me défendrait aussi et voudrait se tenir auprès de moi et faire tout ce que je lui enjoindrais. Il répondit : — « Moi mourir quand vous commander mourir, maître. » Là-dessus j’allai chercher une bonne goutte de rum et la lui donnai, car j’avais si bien ménagé mon rum que j’en avais encore pas mal en réserve. Quand il eut bu, je lui fis prendre les deux fusils de chasse que nous portions toujours, et je les chargeai de chevrotines aussi grosses que des petites balles de pistolet ; je pris ensuite quatre mousquets, je les chargeai chacun de deux lingots et de cinq balles, puis chacun de mes deux pistolets d’une paire de balles seulement. Je pendis comme à l’ordinaire, mon grand sabre nu à mon côté, et je donnai à Vendredi sa hachette.

Quand je me fus ainsi préparé, je pris ma lunette d’approche et je gravis sur le versant de la montagne,