Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/374

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pour voir ce que je pourrais découvrir ; j’apperçus aussitôt par ma longue vue qu’il y avait là vingt-un Sauvages, trois prisonniers et trois pirogues, et que leur unique affaire semblait être de faire un banquet triomphal de ces trois corps humains, fête barbare, il est vrai, mais, comme je l’ai observé, qui n’avait rien parmi eux que d’ordinaire.

Je remarquai aussi qu’ils étaient débarqués non dans le même endroit d’où Vendredi s’était échappé, mais plus près de ma crique, où le rivage était bas et où un bois épais s’étendait presque jusqu’à la mer. Cette observation et l’horreur que m’inspirait l’œuvre atroce que ces misérables venaient consommer me remplirent de tant d’indignation que je retournai vers Vendredi, et lui dis que j’étais résolu à fondre sur eux et à les tuer touts. Puis je lui demandai s’il voulait combattre à mes côtés. Sa frayeur étant dissipée et ses esprits étant un peu animés par le rum que je lui avais donné, il me parut plein de courage, et répéta comme auparavant qu’il mourrait quand je lui ordonnerais de mourir.

Dans cet accès de fureur je pris et répartis entre nous les armes que je venais de charger. Je donnai à Vendredi un pistolet pour mettre à sa ceinture et trois mousquets pour porter sur l’épaule, je pris moi-même un pistolet et les trois autres mousquets, et dans cet équipage nous nous mîmes en marche. J’avais en outre garni ma poche d’une petite bouteille de rum, et chargé Vendredi d’un grand sac et de balles. Quant à la consigne, je lui enjoignis de se tenir sur mes pas, de ne point bouger, de ne point tirer, de ne faire aucune chose que je ne lui eusse commandée, et en même temps de ne pas souffler mot. Je fis alors à ma droite un circuit de près d’un mille, pour éviter la crique et gagner le bois, afin de