Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/388

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purent marcher ni l’un ni l’autre ; le pauvre Vendredi ne savait que faire.

Pour remédier à cela je me pris à réfléchir, et je priai Vendredi de les inviter à s’asseoir sur le bord tandis qu’il viendrait avec moi. J’eus bientôt fabriqué une sorte de civière où nous les plaçâmes, et sur laquelle, Vendredi et moi, nous les portâmes touts deux. Mais quand nous les eûmes apportés au pied extérieur de notre muraille ou fortification, nous retombâmes dans un pire embarras qu’auparavant ; car il était impossible de les faire passer par-dessus, et j’étais résolu à ne point l’abattre. Je me remis donc à l’ouvrage, et Vendredi et moi nous eûmes fait en deux heures de temps environ une très-jolie tente avec de vieilles voiles, recouverte de branches d’arbre, et dressée dans l’esplanade, entre notre retranchement extérieur et le bocage que j’avais planté. Là nous leur fîmes deux lits de ce que je me trouvais avoir, c’est-à-dire de bonne paille de riz, avec des couvertures jetées dessus, l’une pour se coucher et l’autre pour se couvrir.

Mon île était alors peuplée, je me croyais très-riche en sujets ; et il me vint et je fis souvent l’agréable réflexion, que je ressemblais à un Roi. Premièrement, tout le pays était ma propriété absolue, de sorte que j’avais un droit indubitable de domination ; secondement, mon peuple était complètement soumis. J’étais souverain seigneur et législateur ; touts me devaient la vie et touts étaient prêts à mourir pour moi si besoin était. Chose surtout remarquable ! je n’avais que trois sujets et ils étaient de trois religions différentes : Mon homme Vendredi était protestant, son père était idolâtre et cannibale, et l’Espagnol était papiste. Toutefois, soit dit en passant, j’accor-