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PRÉFACE.

Le traducteur de ce livre n’est point un traducteur, c’est tout bonnement un poète qui s’est pris de belle passion et de courage. Une des plus belles créations du génie anglais courait depuis un siècle par les rues avec des haillons sur le corps, de la boue sur la face et de la paille dans les cheveux ; il a cru, dans son orgueil, que mission lui était donnée d’arrêter cette trop longue profanation, et il s’est mis à arracher à deux mains cette paille et ces haillons.

Si le traducteur de ce livre avait pu entrevoir seulement le mérite le plus infime dans la vieille traduction de ROBINSON, il se serait donné de garde de venir refaire une chose déjà faite. Il a trop de respect pour tout ce que nous ont légué nos pères, il aime trop Amyot et Labruyère, pour rien dire, rien entreprendre qui puisse faire oublier un mot tombé de la plume des hommes admirables qui ont fait avant nous un usage si magnifique de notre belle langue.

Il n’est pas besoin de beaucoup de paroles pour démontrer le peu de valeur de la vieille traduction de ROBINSON ; elle est d’une médiocrité qui saute aux yeux, d’une médiocrité si généralement sentie que pas un libraire depuis soixante ans n’a osé la réimprimer telle que telle. Saint-Hyacinthe et Van-Offen, à qui on l’attribue, avouent ingénuement dans leur préface anonyme qu’elle n’est pas littérale, et qu’ils ont fait de leur mieux pour satisfaire à la délicatesse françoise ; et le Dictionnaire Historique à l’endroit de Saint-Hyacinthe dit qu’il est auteur de quelques traductions qui prouvent que souvent il a été contraint de travailler pour la fortune plutôt que pour la gloire. À cela nous ajouterons seulement que la traduction de Saint-Hyacinthe et Van-Offen est absolument inexacte ; qu’au narré, nous n’osons dire style, simple, nerveux, accentué de l’original, Saint-Hyacinthe et Van-Offen ont substitué un délayage blafard, sans caractère et sans onction ; que la plupart des pages de Saint-Hyacinthe et Van-Offen n’offrent qu’un assemblage de mots indécis et de sens vagues qui, à la lecture courante, semblent dire quelque chose, mais qui tombent devant toute logique et ne laissent que du terne dans l’esprit. Partout où dans l’original se trouve un trait caractéristique, un mot simple et sublime, une belle et sage pensée, une réflexion profonde, on est sûr au passage correspondant de la traduction de Saint-Hyacinthe et Van-Offen de mettre le doigt sur une pauvreté.

Comme nous ne sommes point sur un terrain libre, nous croyons devoir garder le silence sur une traduction androgyne publiée concur-