Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/90

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bes vers le rivage. Mais cet effort ne put me délivrer de la furie de la mer, qui revenait fondre sur moi ; et, par deux fois, les vagues m’enlevèrent, et, comme précédemment, m’entraînèrent au loin, le rivage étant tout-à-fait plat.

La dernière de ces deux fois avait été bien près de m’être fatale ; car la mer m’ayant emporté ainsi qu’auparavant, elle me mit à terre ou plutôt elle me jeta contre un quartier de roc, et avec une telle force, qu’elle me laissa évanoui, dans l’impossibilité de travailler à ma délivrance. Le coup, ayant porté sur mon flanc et sur ma poitrine, avait pour ainsi dire chassé entièrement le souffle de mon corps ; et, si je l’avais recouvré immédiatement, j’aurais étouffé dans l’eau ; mais il me revint un peu avant le retour des vagues, et voyant qu’elles allaient encore m’envelopper, je résolus de me cramponner au rocher et de retenir mon haleine, jusqu’à ce qu’elles fussent retirées. Comme la terre était proche, les lames ne s’élevaient plus aussi haut, et je ne quittai point prise qu’elles ne se fussent abattues. Alors je repris ma course, et je m’approchai tellement de la terre, que la nouvelle vague, quoiqu’elle me traversât, ne m’engloutit point assez pour m’entraîner. Enfin, après un dernier effort, je parvins à la terre ferme, où, à ma grande satisfaction, je gravis sur les rochers escarpés du rivage, et m’assis sur l’herbe, délivré de tous périls et à l’abri de toute atteinte de l’Océan.

J’étais alors à terre et en sûreté sur la rive ; je commençai à regarder le ciel et à remercier Dieu de ce que ma vie était sauvée, dans un cas où, quelques minutes auparavant, il y avait à peine lieu d’espérer. Je crois qu’il serait impossible d’exprimer au vif ce que sont les extases et les transports d’une âme arrachée, pour ainsi dire,