Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/121

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tout-à-coup ils furent surpris de voir à très-peu de distance la lumière d’un feu et d’entendre, non pas une voix ou deux, mais les voix d’un grand nombre d’hommes.

Toutes les fois que j’avais découvert des débarquements de Sauvages dans l’île, j’avais constamment fait en sorte qu’on ne pût avoir le moindre indice que le lieu était habité ; lorsque les événements le leur apprirent, ce fut d’une manière si efficace, que c’est tout au plus si ceux qui se sauvèrent purent dire ce qu’ils avaient vu, car nous disparûmes aussitôt que possible, et aucun de ceux qui m’avaient vu ne s’échappa pour le dire à d’autres, excepté les trois Sauvages qui, lors de notre dernière rencontre, sautèrent dans la pirogue, et qui, comme je l’ai dit, m’avaient fait craindre qu’ils ne retournassent auprès de leurs compatriotes et n’amenassent du renfort.

Était-ce ce qu’avaient pu dire ces trois hommes qui en amenait maintenant un aussi grand nombre, ou bien était-ce le hasard seul ou l’un de leurs festins sanglants, c’est ce que les Espagnols ne purent comprendre, à ce qu’il paraît ; mais, quoi qu’il en fût, il aurait mieux valu pour eux qu’ils se fussent tenus cachés et qu’ils n’eussent pas vu les Sauvages, que de laisser connaître à ceux-ci que l’île était habitée. Dans ce dernier cas, il fallait tomber sur eux avec vigueur, de manière à n’en pas laisser échapper un seul ; ce qui ne pouvait se faire qu’en se plaçant entre eux et leurs canots : mais la présence d’esprit leur manqua, ce qui détruisit pour long-temps leur tranquillité.

Nous ne devons pas douter que le gouverneur et celui qui l’accompagnait, surpris à cette vue, ne soient retournés précipitamment sur leurs pas et n’aient donné l’alarme à leurs compagnons, en leur faisant part du danger imminent dans lequel ils étaient touts. La frayeur fut grande