Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/190

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sa femme restait avec trois enfants, — elle était, à ce qu’il paraît, enceinte lorsqu’il mourut. Les deux survivants ne négligeaient pas de fournir la veuve de toutes choses, j’entends de blé, de lait, de raisins, et de lui faire bonne part quand ils tuaient un chevreau ou trouvaient une tortue sur le rivage ; de sorte qu’ils vivaient touts assez bien, quoiqu’à la vérité ceux-ci ne fussent pas aussi industrieux que les deux autres, comme je l’ai fait observer déjà.

Il est une chose qui toutefois ne saurait être omise ; c’est, qu’en fait de religion, je ne sache pas qu’il existât rien de semblable parmi eux. Il est vrai qu’assez souvent ils se faisaient souvenir l’un l’autre qu’il est un Dieu, mais c’était purement par la commune méthode des marins, c’est-à-dire en blasphémant son nom. Leurs femmes, pauvres ignorantes Sauvages, n’en étaient pas beaucoup plus éclairées pour être mariées à des Chrétiens, si on peut les appeler ainsi, car eux-mêmes, ayant fort peu de notions de Dieu, se trouvaient profondément incapables d’entrer en discours avec elles sur la Divinité, ou de leur parler de rien qui concernât la religion.

Le plus grand profit qu’elles avaient, je puis dire, retiré de leur alliance, c’était d’avoir appris de leurs maris à parler passablement l’anglais. Touts leurs enfants, qui pouvaient bien être une vingtaine, apprenaient de même à s’exprimer en anglais dès leurs premiers bégaiements, quoiqu’ils ne fissent d’abord que l’écorcher, comme leurs mères. Pas un de ces enfants n’avait plus de six ans quand j’arrivai, car il n’y en avait pas beaucoup plus de sept que ces cinq ladys sauvages avaient été amenées ; mais toutes s’étaient trouvées fécondes, toutes avaient des enfants, plus ou moins. La femme du cuisinier en second était, je crois, grosse de son sixième. Ces mères étaient toutes d’une heureuse nature,