Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/222

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ment qu’un homme y consacra son existence tout entière. »

Je restai muet, je n’avais pas un mot à dire. Là devant les yeux j’avais l’ardeur d’un zèle véritablement chrétien pour Dieu et la religion ; quels que fussent d’ailleurs les principes particuliers de ce jeune homme de bien. Quant à moi, jusqu’alors je n’avais pas même eu dans le cœur une pareille pensée, et sans doute je ne l’aurais jamais conçue ; car ces Sauvages étaient pour moi des esclaves, des gens que, si nous eussions eu à les employer à quelques travaux, nous aurions traités comme tels, ou que nous aurions été fort aises de transporter dans toute autre partie du monde. Notre affaire était de nous en débarrasser. Nous aurions touts été satisfaits de les voir partir pour quelque pays, pourvu qu’ils ne revissent jamais le leur. — Mais revenons à notre sujet. J’étais, dis-je, resté confondu à son discours, et je ne savais quelle réponse lui faire. Il me regarda fixement, et, remarquant mon trouble : — « sir, dit-il, je serais désolé si quelqu’une de mes paroles avait pu vous offenser. » — « Non, non, repartis-je, ma colère ne s’adresse qu’à moi-même. Je suis profondément contristé non-seulement de n’avoir pas eu la moindre idée de cela jusqu’à cette heure, mais encore de ne pas savoir à quoi me servira la connaissance que j’en ai maintenant. Vous n’ignorez pas, sir, dans quelles circonstances je me trouve. Je vais aux Indes-Orientales sur un navire frété par des négociants, envers lesquels ce serait commettre une injustice criante que de retenir ici leur bâtiment, l’équipage étant pendant tout ce temps nourri et payé aux frais des armateurs. Il est vrai que j’ai stipulé qu’il me serait loisible de demeurer douze jours ici, et que si j’y stationnais davantage, je paierais trois livres sterling par jour de starie. Toutefois je ne puis prolonger ma starie au-delà de huit jours : en voici déjà treize que je séjourne en ce lieu.