Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je suis donc tout-à-fait dans l’impossibilité de me mettre à cette œuvre, à moins que je ne me résigne à être de nouveau abandonné sur cette île ; et, dans ce cas, si ce seul navire venait à se perdre sur quelque point de sa course, je retomberais précisément dans le même état où je me suis trouvé une première fois ici, et duquel j’ai été si merveilleusement délivré. »

Il avoua que les clauses de mon voyage étaient onéreuses ; mais il laissa à ma conscience à prononcer si le bonheur de sauver trente-sept âmes ne valait pas la peine que je hasardasse tout ce que j’avais au monde. N’étant pas autant que lui pénétré de cela, je lui répliquai ainsi : — « C’est en effet, sir, chose fort glorieuse que d’être un instrument dans la main de Dieu pour convertir trente-sept payens à la connaissance du Christ. Mais comme vous êtes un ecclésiastique et préposé à cette œuvre, il semble qu’elle entre naturellement dans le domaine de votre profession ; comment se fait-il donc qu’au lieu de m’y exhorter, vous n’offriez pas vous-même de l’entreprendre ? »

À ces mots, comme il marchait à mon côté, il se tourna face à face avec moi, et, m’arrêtant tout court, il me fit une profonde révérence. — « Je rends grâce à Dieu et à vous du fond de mon cœur, sir, dit-il, de m’avoir appelé si manifestement à une si sainte entreprise ; et si vous vous en croyez dispensé et désirez que je m’en charge, je l’accepte avec empressement, et je regarderai comme une heureuse récompense des périls et des peines d’un voyage aussi interrompu et aussi malencontreux que le mien, de vaquer enfin à une œuvre si glorieuse. »

Tandis qu’il parlait ainsi, je découvris sur son visage une sorte de ravissement, ses yeux étincelaient comme le feu, sa face s’embrasait, pâlissait et se renflammait, comme s’il