Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/240

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Cependant nous ne pouvions approcher davantage, de peur de les troubler. Nous résolûmes donc d’attendre la fin de cette conversation silencieuse, qui d’ailleurs nous parlait assez haut sans le secours de la voix. Atkins, comme je l’ai dit, s’était assis de nouveau tout auprès de sa femme, et lui parlait derechef avec chaleur. Deux ou trois fois nous pûmes voir qu’il l’embrassait passionnément. Une autre fois nous le vîmes prendre son mouchoir, lui essuyer les yeux, puis l’embrasser encore avec des transports d’une nature vraiment singulière. Enfin, après plusieurs choses semblables, nous le vîmes se relever tout-à-coup, lui tendre la main pour l’aider à faire de même, puis, la tenant ainsi, la conduire aussitôt à quelques pas de là, où touts deux s’agenouillèrent et restèrent dans cette attitude deux minutes environ.

Mon ami ne se possédait plus. Il s’écria : — « Saint Paul ! saint Paul ! voyez, il prie ! » — Je craignis qu’Atkins ne l’entendit : je le conjurai de se modérer pendant quelques instants, afin que nous pussions voir la fin de cette scène, qui, pour moi, je dois le confesser, fut bien tout à la fois la plus touchante et la plus agréable que j’aie jamais vue de ma vie. Il chercha en effet à se rendre maître de lui ; mais il était dans de tels ravissements de penser que cette pauvre femme payenne était devenue chrétienne, qu’il lui fut impossible de se contenir, et qu’il versa des larmes à plusieurs reprises. Levant les mains vers le ciel et se signant la poitrine, il faisait des oraisons jaculatoires pour rendre grâce à Dieu d’une preuve si miraculeuse du succès de nos efforts ; tantôt il parlait tout bas et je pouvais à peine entendre, tantôt à voix haute, tantôt en latin, tantôt en français ; deux ou trois fois des larmes de joie l’interrompirent et étouffèrent ses paroles tout-à-fait. Je le conjurai de nouveau