Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/283

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quelque sorte couverte, du côté de la terre, de quelque chose de très-noir, sans pouvoir distinguer ce que c’était. Mais un instant après, notre second étant monté dans les haubans du grand mât, et ayant braqué une lunette d’approche sur ce point, cria que c’était une armée. Je ne pouvais m’imaginer ce qu’il entendait par une armée, et je lui répondis assez brusquement, l’appelant fou, ou quelque chose semblable. — « Oui-da, sir, dit-il, ne vous fâchez pas, car c’est bien une armée et même une flotte ; car je crois qu’il y a bien mille canots ! Vous pouvez d’ailleurs les voir pagayer ; ils s’avancent en hâte vers nous, et sont pleins de monde. »

Dans le fond je fus alors un peu surpris, ainsi que mon neveu, le capitaine ; comme il avait entendu dans l’île de terribles histoires sur les Sauvages et n’était point encore venu dans ces mers, il ne savait trop que penser de cela ; et deux ou trois fois il s’écria que nous allions touts être dévorés. Je dois l’avouer, vu que nous étions abriés, et que le courant portait avec force vers la terre, je mettais les choses au pire. Cependant je lui recommandai de ne pas s’effrayer, mais de faire mouiller l’ancre aussitôt que nous serions assez près pour savoir s’il nous fallait en venir aux mains avec eux.

Le temps demeurant calme, et les canots nageant rapidement vers nous, je donnai l’ordre de jeter l’ancre et de ferler toutes nos voiles. Quant aux Sauvages, je dis à nos gens que nous n’avions à redouter de leur part que le feu ; que, pour cette raison, il fallait mettre nos embarcations à la mer, les amarrer, l’une à la proue, l’autre à la poupe, les bien équiper toutes deux, et attendre ainsi l’événement. J’eus soin que les hommes des embarcations se tinssent prêts, avec des seaux et des écopes, à éteindre le feu si les