Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/30

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chausse une paire d’escarpins qu’il avait dans sa poche, donne son cheval à mon autre serviteur, et, armé de son fusil, se met à courir comme le vent.

L’ours se promenait tout doucement, sans songer à troubler personne, jusqu’à ce que Vendredi, arrivé assez près, se mit à l’appeler comme s’il pouvait le comprendre : — « Écoute ! écoute ! moi parler avec toi. » — Nous suivions à distance ; car, ayant alors descendu le côté des montagnes qui regardent la Gascogne, nous étions entrés dans une immense forêt dont le sol plat était rempli de clairières parsemées d’arbres çà et là.

Vendredi, qui était comme nous l’avons dit sur les talons de l’ours, le joignit promptement, ramassa une grosse pierre, la lui jeta et l’atteignit à la tête ; mais il ne lui fit pas plus de mal que s’il l’avait lancée contre un mur ; elle répondait cependant à ses fins, car le drôle était si exempt de peur, qu’il ne faisait cela que pour obliger l’ours à le poursuivre, et nous montrer bon rire, comme il disait.

Sitôt que l’ours sentit la pierre, et apperçut Vendredi, il se retourna, et s’avança vers lui en faisant de longues et diaboliques enjambées, marchant tout de guingois et d’une si étrange allure, qu’il aurait fait prendre à un cheval le petit galop. Vendredi s’enfuit et porta sa course de notre côté comme pour demander du secours. Nous résolûmes donc aussi de faire feu touts ensemble sur l’ours, afin de délivrer mon serviteur. J’étais cependant fâché de tout cœur contre lui, pour avoir ainsi attiré la bête sur nous lorsqu’elle allait à ses affaires par un autre chemin. J’étais surtout en colère de ce qu’il l’avait détournée et puis avait pris la fuite. Je l’appelai : « — Chien, lui dis-je, est-ce là nous faire rire ? Arrive ici et reprends ton bidet, afin