Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/321

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était tout-à-fait hors de mon pouvoir de les retenir, je me retirai morne et pensif : je ne pouvais supporter la vue encore moins les cris et les gémissements des pauvres misérables qui tombaient entre leurs mains.

Personne ne me suivit, hors le subrécargue et deux hommes ; et avec eux seuls je retournai vers nos embarcations. C’était une grande folie à moi, je l’avoue, de m’en aller ainsi ; car il commençait à faire jour et l’alarme s’était répandue dans le pays. Environ trente ou quarante hommes armés de lances et d’arcs campaient à ce petit hameau de douze ou treize cabanes dont il a été question déjà ; mais par bonheur, j’évitai cette place et je gagnai directement la côte. Quand j’arrivai au rivage il faisait grand jour : je pris immédiatement la pinace et je me rendis à bord, puis je la renvoyai pour secourir nos hommes le cas advenant.

Je remarquai, à peu près vers le temps où j’accostai le navire, que le feu était presque éteint et le bruit appaisé ; mais environ une demi-heure après que j’étais à bord j’entendis une salve de mousqueterie et je vis une grande fumée. C’était, comme je l’appris plus tard, nos hommes qui, chemin faisant, assaillaient les quarante Indiens postés au petit hameau. Ils en tuèrent seize ou dix-sept et brûlèrent toutes les maisons, mais ils ne touchèrent point aux femmes ni aux enfants.

Au moment où la pinace regagnait le rivage nos aventuriers commencèrent à reparaître : ils arrivaient petit à petit, non plus en deux corps et en ordre comme ils étaient partis, mais pêle-mêle, mais à la débandade, de telle façon qu’une poignée d’hommes résolus auraient pu leur couper à touts la retraite.

Mais ils avaient jeté l’épouvante dans tout le pays. Les naturels étaient si consternés, si atterrés qu’une centaine