Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/338

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page, prétendait-on, avait été si malade, que le capitaine, n’ayant pas assez de monde pour tenir la mer, s’était vu forcé de relâcher au Bengale ; et comme s’il eût assez gagné d’argent, ou qu’il souhaitât pour d’autres raisons d’aller en Europe, il fit annoncer publiquement qu’il désirait vendre son vaisseau. Cet avis me vint aux oreilles avant que mon nouveau partner n’en eût ouï parler, et il me prit grandement envie de faire cette acquisition. J’allai donc le trouver et je lui en touchai quelques mots. Il réfléchit un instant, car il n’était pas homme à s’empresser ; puis, après cette pause, il répondit : — « Il est un peu trop gros ; mais cependant ayons-le. » — En conséquence, tombant d’accord avec le capitaine, nous achetâmes ce navire, le payâmes et en prîmes possession. Ceci fait, nous résolûmes d’embaucher les gens de l’équipage pour les joindre aux hommes que nous avions déjà et poursuivre notre affaire. Mais tout-à-coup, ayant reçu non leurs gages, mais leurs parts de l’argent, comme nous l’apprîmes plus tard, il ne fut plus possible d’en retrouver un seul. Nous nous enquîmes d’eux partout, et à la fin nous apprîmes qu’ils étaient partis touts ensemble par terre pour Agra, la grande cité, résidence du Mogol, à dessein de se rendre de là à Surate, puis de gagner par mer le golfe Persique.

Rien depuis long-temps ne m’avait autant chagriné que d’avoir manqué l’occasion de partir avec eux. Un tel pélerinage, m’imaginais-je, eût été pour moi en pareille compagnie, tout à la fois agréable et sûr, et aurait complètement cadré avec mon grand projet : j’aurais vu le monde et en même temps je me serais rapproché de ma patrie. Mais je fus beaucoup moins inconsolable peu de jours après quand je vins à savoir quelle sorte de compagnons c’étaient, car, en peu de mots, voici leur histoire. L’homme qu’ils ap-