Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/351

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faire aiguade. Cet infortuné n’avait pas osé descendre sur le rivage où était l’embarcation ; mais, dans la nuit, ayant gagné l’eau un peu au-delà, après avoir nagé fort long-temps, à la fin il avait été recueilli par la chaloupe du navire.

Il nous dit ensuite qu’il était allé à Batavia, où ayant abandonné les autres dans leur voyage, deux marins appartenant à ce navire étaient arrivés ; il nous conta que le drôle qui s’était enfui avec le bâtiment l’avait vendu au Bengale à un ramassis de pirates qui, partis en course, avaient déjà pris un navire anglais et deux hollandais très-richement chargés.

Cette dernière allégation nous concernait directement ; et quoiqu’il fût patent qu’elle était fausse, cependant, comme mon partner le disait très-bien, si nous étions tombés entre leurs mains, ces gens avaient contre nous une prévention telle, que c’eût été en vain que nous nous serions défendus, ou que de leur part nous aurions espéré quartier. Nos accusateurs auraient été nos juges : nous n’aurions rien eu à en attendre que ce que la rage peut dicter et que peut exécuter une colère aveugle. Aussi l’opinion de mon partner fut-elle de retourner en droiture au Bengale, d’où nous venions, sans relâcher à aucun port, parce que là nous pourrions nous justifier, nous pourrions prouver où nous nous trouvions quand le navire était arrivé, à qui nous l’avions acheté, et surtout, s’il advenait que nous fussions dans la nécessité de porter l’affaire devant nos juges naturels, parce que nous pourrions être sûrs d’obtenir quelque justice et de ne pas être pendus d’abord et jugés après.

Je fus quelque temps de l’avis de mon partner ; mais après y avoir songé un peu plus sérieusement : — « Il me semble bien dangereux pour nous, lui dis-je, de tenter de