Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/375

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques-uns de leurs matelots ne le connaissaient-ils pas, n’avaient-ils pas fait partie de son équipage, et dans la rivière de Camboge, lorsque nous avions eu vent qu’ils devaient descendre pour nous examiner, n’avions-nous pas battu leurs chaloupes et levé le pied ? Nous ne mettions donc pas en doute qu’ils ne fussent aussi pleinement assurés que nous étions pirates que nous nous étions convaincus du contraire ; et souvent je disais que je ne savais si, nos rôles changés, notre cas devenu le leur, je n’eusse pas considéré tout ceci comme de la dernière évidence, et me fusse fait aucun scrupule de tailler en pièces l’équipage sans croire et peut-être même sans écouter ce qu’il aurait pu alléguer pour sa défense.

Quoi qu’il en fût, telles avaient été nos appréhensions ; et mon partner et moi nous avions rarement fermé l’œil sans rêver corde et grande vergue, c’est-à-dire potence ; sans rêver que nous combattions, que nous étions pris, que nous tuions et que nous étions tués. Une nuit entre autres, dans mon songe j’entrai dans une telle fureur, m’imaginant que les Hollandais nous abordaient et que j’assommais un de leurs matelots, que je frappai du poing contre le côté de la cabine où je couchais et avec une telle force que je me blessai très-grièvement la main, que je me foulai les jointures, que je me meurtris et déchirai la chair : à ce coup non-seulement je me réveillai en sursaut, mais encore je fus en transe un moment d’avoir perdu deux doigts.

Une autre crainte dont j’avais été possédé, c’était le traitement cruel que nous feraient les Hollandais si nous tombions entre leurs mains. Alors l’histoire d’Amboyne me revenait dans l’esprit, et je pensais qu’ils pourraient nous appliquer à la question, comme en cette île ils y avaient appliqué nos compatriotes, et forcer par la violence de la torture quelques-uns de nos hommes à confesser des crimes dont ja-