Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/426

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pourquoi je l’ai consignée ici. De la rivière Arguna nous poussâmes en avant à notre aise et à petites journées, et nous fûmes sensiblement obligés du soin que le Czar de Moscovie a pris de bâtir autant de cités et de villes que possible, où ses soldats tiennent garnison à peu près comme ces colonies militaires postées par les Romains dans les contrées les plus reculées de leur Empire, et dont quelques-unes, entre autres, à ce que j’ai lu, étaient placées en Bretagne pour la sûreté du commerce et pour l’hébergement des voyageurs. C’était de même ici ; car partout où nous passâmes, bien que, en ces villes et en ces stations, la garnison et les gouverneurs fussent Russiens et professassent le Christianisme, les habitants du pays n’étaient que de vrais payens, sacrifiant aux idoles et adorant le soleil, la lune, les étoiles et toutes les armées du Ciel. Je dirai même que de toutes les idolâtries, de touts les payens que je rencontrai jamais, c’étaient bien les plus barbares ; seulement ces misérables ne mangeaient pas de chair humaine, comme font nos Sauvages de l’Amérique.

Nous en vîmes quelques exemples dans le pays entre Arguna, par où nous entrâmes dans les États moscovites, et une ville habitée par des Tartares et des Moscovites appelée Nertzinskoy, où se trouve un désert, une forêt continue qui nous demanda vingt-deux jours de marche. Dans un village près la dernière de ces places, j’eus la curiosité d’aller observer la manière de vivre des gens du pays, qui est bien la plus brute et la plus insoutenable. Ce jour-là il y avait sans doute grand sacrifice, car on avait dressé sur un vieux tronc d’arbre une idole de bois aussi effroyable que le diable, du moins à peu près comme nous nous figurons qu’il doit être représenté : elle avait une tête qui assurément ne ressemblait à celle d’aucune créature que le