Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/454

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fut excessivement touché de cette histoire, et surtout le prince, qui me dit avec un soupir, que la véritable grandeur ici-bas était d’être son propre maître ; qu’il n’aurait pas échangé une condition telle que la mienne, contre celle du Czar de Moscovie ; qu’il trouvait plus de félicité dans la retraite à laquelle il semblait condamné en cet exil qu’il n’en avait jamais trouvé dans la plus haute autorité dont il avait joui à la Cour de son maître le Czar ; que le comble de la sagesse humaine était de ployer notre humeur aux circonstances, et de nous faire un calme intérieur sous le poids des plus grandes tempêtes. — « Ici, poursuivit-il au commencement de mon bannissement, je pleurais, je m’arrachais les cheveux, je déchirais mes habits, comme tant d’autres avaient fait avant moi, mais amené après un peu de temps et de réflexion à regarder au-dedans de moi, et à jeter les yeux autour de moi sur les choses extérieures, je trouvai que, s’il est une fois conduit à réfléchir sur la vie, sur le peu d’influence qu’a le monde sur le véritable bonheur, l’esprit de l’homme est parfaitement capable de se créer une félicité à lui, le satisfaisant pleinement et s’alliant à ses meilleurs desseins et à ses plus nobles désirs, sans grand besoin de l’assistance du monde. De l’air pour respirer, de la nourriture pour soutenir la vie, des vêtements pour avoir chaud, la liberté de prendre l’exercice nécessaire à la santé, complètent dans mon opinion tout ce que le monde peut faire pour nous. La grandeur, la puissance, les richesses et les plaisirs dont quelques-uns jouissent ici-bas, et dont pour ma part j’ai joui, sont pleins d’attraits pour nous, mais toutes ces choses lâchent la bride à nos plus mauvaises passions, à notre ambition, à notre orgueil, à notre avarice, à notre vanité, à notre sensualité, passions qui procèdent de ce qu’il y a de pire dans la nature de l’homme, qui sont