Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/455

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des crimes en elles-mêmes, qui renferment la semence de toute espèce de crimes, et n’ont aucun rapport, et ne se rattachent en rien ni aux vertus qui constituent l’homme sage, ni aux grâces qui nous distinguent comme Chrétiens. Privé que je suis aujourd’hui de toute cette félicité imaginaire que je goûtais dans la pratique de touts ces vices, je me trouve à même de porter mes regards sur leur côté sombre, où je n’entrevois que difformités. Je suis maintenant convaincu que la vertu seule fait l’homme vraiment sage, riche, grand, et le retient dans la voie qui conduit à un bonheur suprême, dans une vie future ; et en cela, ne suis-je pas plus heureux dans mon exil que ne le sont mes ennemis en pleine possession des biens et du pouvoir que je leur ai abandonnés ? »

« Sir, ajouta-t-il, je n’amène point mon esprit à cela par politique, me soumettant à la nécessité de ma condition, que quelques-uns appellent misérable. Non, si je ne m’abuse pas trop sur moi-même, je ne voudrais pas m’en retourner ; non, quand bien même le Czar mon maître me rappellerait et m’offrirait de me rétablir dans toute ma grandeur passée ; non, dis-je, je ne voudrais pas m’en retourner, pas plus que mon âme, je pense, quand elle sera délivrée de sa prison corporelle, et aura goûté la félicité glorieuse qu’elle doit trouver au-delà de la vie, ne voudra retourner à la geôle de chair et de sang qui l’enferme aujourd’hui, et abandonner les Cieux pour se replonger dans la fange et l’ordure des affaires humaines. »

Il prononça ces paroles avec tant de chaleur et d’effusion, tant d’émotion se trahissait dans son maintien qu’il était visible que c’étaient là les vrais sentiments de son âme. Impossible demeure en doute sa sincérité.

Je lui répondis qu’autrefois dans mon ancienne condition