Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/71

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Il m’est impossible de peindre les différents gestes, les extases étranges, la diversité de postures, par lesquels ces pauvres gens, à une délivrance si inattendue, manifestaient la joie de leurs âmes. L’affliction et la crainte se peuvent décrire aisément : des soupirs, des gémissements et quelques mouvements de tête et de mains en font toute la variété ; mais une surprise de joie, mais un excès de joie entraîne à mille extravagances. — Il y en avait en larmes, il y en avait qui faisaient rage et se déchiraient eux-mêmes comme s’ils eussent été dans la plus douloureuse agonie ; quelques-uns, tout-à-fait en délire, étaient de véritables lunatiques ; d’autres couraient çà et là dans le navire en frappant du pied ; d’autres se tordaient les mains, d’autres dansaient, plusieurs chantaient, quelques-uns riaient, beaucoup criaient ; quantité, absolument muets, ne pouvaient proférer une parole ; ceux-ci étaient malades et vomissaient, ceux-là en pâmoison étaient près de tomber en défaillance ; — un petit nombre se signaient et remerciaient Dieu.

Je ne veux faire tort ni aux uns ni aux autres ; sans doute beaucoup rendirent grâces par la suite, mais tout d’abord la commotion, trop forte pour qu’ils pussent la maîtriser, les plongea dans l’extase et dans une sorte de frénésie ; et il n’y en eut que fort peu qui se montrèrent graves et dignes dans leur joie.

Peut-être aussi le caractère particulier de la nation à laquelle ils appartenaient y contribua-t-il ; j’entends la nation française, dont l’humeur est réputée plus volatile, plus passionnée, plus ardente et l’esprit plus fluide que chez les autres nations. — Je ne suis pas assez philosophe pour en déterminer la source, mais rien de ce que j’avais vu jusqu’alors n’égalait cette exaltation. Le ravissement du