Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/88

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sur le plancher, comme une personne tombée en apoplexie, et elle luttait avec la mort. Ses membres étaient tordus : une de ses mains était agrippée à un bâton de chaise, et le tenait si ferme qu’on ne put aisément le lui faire lâcher ; son autre bras était passé sur sa tête, et ses deux pieds, étendus et joints, s’appuyaient avec force contre la barre de la table. Bref, elle gisait là comme un agonisant dans le travail de la mort : cependant elle survécut aussi.

La pauvre créature n’était pas seulement épuisée par la faim et brisée par les terreurs de la mort ; mais, comme nous l’apprîmes de l’équipage, elle avait le cœur déchiré pour sa maîtresse, qu’elle voyait mourante depuis deux ou trois jours et qu’elle aimait fort tendrement.

Nous ne savions que faire de cette pauvre fille ; et lorsque notre chirurgien, qui était un homme de beaucoup de savoir et d’expérience, l’eut à grands soins rappelée à la vie, il eut à lui rendre la raison ; et pendant fort long-temps elle resta à peu près folle, comme on le verra par la suite.

Quiconque lira ces mémoires voudra bien considérer que les visites en mer ne se font pas comme dans un voyage sur terre, où l’on séjourne quelquefois une ou deux semaines en un même lieu. Il nous appartenait de secourir l’équipage de ce navire en détresse, mais non de demeurer avec lui ; et, quoiqu’il désirât fort d’aller de conserve avec nous pendant quelques jours, il nous était pourtant impossible de convoyer un bâtiment qui n’avait point de mâts. Néanmoins, quand le capitaine nous pria de l’aider à dresser un grand mât de hune et une sorte de mâtereau de hune à son mât de misaine de fortune, nous ne nous refusâmes pas à rester en panne trois ou quatre jours. Alors, après lui avoir donné cinq barils de bœuf et de porc, deux barriques de